Organisé par l’Université de Lorraine (UDL) et l’Union Crématiste Européenne (UCE), le Colloque "Droit et crémation : quel statut juridique pour les restes humains ?" se proposait de poser de nouvelles bases de réflexion, d’enregistrer différentes communications d’invités à l’expertise avérée, ainsi que les échanges ayant nourri les deux ateliers de l’après-midi. L’ensemble fera l’objet d’une publication dans les mois à venir.

 UCE

Le 27 octobre dernier, à la Faculté de droit de Nancy, s’est donc tenu le quatrième colloque initié par l’UCE et l’UDL. Depuis le début, ces rencontres se sont déroulées grâce à une collaboration amicale et constructive avec Bruno Py, professeur de droit privé à l’Université de Lorraine, et son équipe. Les deux premières avaient déjà traité du droit et de la crémation en Europe, la dernière en date était tout particulièrement axée sur l’éthique. Il est à noter que l’amphithéâtre mis à disposition par l’établissement universitaire était comble, incitant à envisager pour la prochaine édition une salle plus grande.

Desor Vidallet Ferrari Godard01Didier Desor, professeur Université de Lorraine ;
Pierre Vidallet, cofondateur de la Société des crématoriums de France ;
Roberto Ferrari, représentant l'Italie ; Xavier Godard, directeur crématorium Bruxelles.

Avant de prendre connaissance des premiers exposés, de brefs discours - par le représentant de la Métropole Nancy, le doyen de la faculté de droit, Bruno Py (UDL) et Maurice Thoré (UCE) - composaient l’introduction à cette studieuse journée. Puis suivit la première intervention, déjà instructive, de Marc Mayer, membre de l’UCE et de l’Université Libre de Bruxelles (ULB), sur "les mots et les sens".

Donner du sens aux mots

Introduisant son propos par quelques définitions de circonstance, Marc Mayer rappelle que la crémation est une technique qui consiste à brûler et à réduire en cendres le corps d’un défunt. Pour les crématistes, il s’agit d’une sublimation (du corps), donnant ainsi une dimension symbolique supplémentaire à un acte technique. En France, depuis la loi de décembre 2008, les cendres sont considérées juridiquement comme un corps humain. Il y une différence entre le droit, l’éthique et la morale.

"Du point de vue matérialiste (au sens philosophique), tout est matière. Alors il faut analyser la contradiction entre respect (dimension morale), dignité (dimension éthique, voire morale), décence (éthique mais aussi psychologique). Avant, seul existait l’aspect sentimental. Avec la loi, les cendres ont acquis une valeur juridique. Donc naît le respect de la personnalité du défunt", précise-t-il.

En France, chacun a droit au respect de son corps. Le corps humain est inviolable. Le corps humain, ses éléments et ses produits ne peuvent faire l’objet d’un droit patrimonial. Le respect du corps humain ne cesse pas avec la mort. Les restes des personnes décédées, y compris les cendres, de celles dont le corps a donné lieu à crémation, doivent être traités avec respect, dignité et décence.

De la réflexion sur le sens donné aux mots, Marc Mayer initie de nombreuses questions : "Faut-il revoir la sémantique ? Pour la destination des cendres, ne devrait-on pas parler de destination de l’urne d’un défunt. Il serait plus délicat de parler du défunt plutôt que de l’état dans lequel il se trouve. En quoi une société a-t-elle nécessité de recourir à un encadrement légal à propos de la crémation ? Pourquoi semble-t-il obligatoire de doter les cendres d’un statut légal alors que tel n’avait pas été le cas pour le cadavre ? Comment justifier le fait qu’il n’est plus possible de conserver les cendres au domicile ?"

Godard Petit Plaisant Devillet Adriaenssens01Xavier Godard, directeur crématorium Bruxelles ; J.-P. Petit, UCE ; Frédérique Plaisant, FFC ;
Guénaël Devillet, directeur du Service d’Étude en Géographie Économique Fondamentale
et Appliquée (SEGEFA) Université de Liège ; Danielle Adriaenssens, directeur en chef Ville de Liège.

Ce sont autant de questions que l’on peut se poser afin de mieux mesurer et comprendre les mutations en cours. Réfléchir sur "comment le droit s’invite dans la construction d’une norme sociale alors que les comportements hétéroclites se multiplient". Entre normalisation et liberté individuelle, le travail de la loi est l’objet d’une tension entre ce qui se doit d’être encadré et ce qui relève des choix intimes des individus. D’où cette posture qui vise à encadrer la liberté. Est-ce l’éthique qui doit faire tampon ?

"Comment assurer la libre distribution des cendres tout en encadrant leur destination ? Comment trouver un équilibre entre le principe de respect dû au défunt et le principe de liberté des funérailles ? C’est le défi que s’est fixé le législateur… Il ne supprimera pas tous les problèmes… mais le doit-il ? Cendres : restes, déchets, produits ou autres, à qui appartiennent-ils, peuvent-ils être traités ?" questionnera-t-il pour terminer ses observations sémantiques.

Les présupposés fondateurs

La deuxième intervention qui marqua le début de cette studieuse journée fut le nécessaire retour, fait par Jean-Pierre Sueur, sénateur du Loiret et vice-président de la Commission des lois, sur le cadre législatif français et ses évolutions, tout particulièrement ces dernières années dans le domaine de la crémation, avec la loi de 2008 sur le devenir des urnes et des cendres cinéraires, entre autres.

Mais, en préambule, il prit le temps d’un pédagogique rappel historique sur ce qui fit les fondements de la loi de 1993. Cela permit à de nombreux étudiants présents dans l’amphithéâtre de relever par écrit les propos de celui qui donna son nom à celle-ci. "Ce fut un travail effectué avec l’aide de plusieurs générations de fonctionnaires de la Direction Générale des Collectivités Locales (DGCL). Cette loi mettant fin au monopole, toutes les entreprises habilitées devaient assumer une mission de service public. Le service extérieur des pompes funèbres fut redéfini à ce moment-là."

Il rappela que la seule préoccupation qui le guida fut l’intérêt des familles éprouvées qui, dans cette situation douloureuse de la perte d’un être cher, n’est pas dans les dispositions nécessaires pour s’occuper des aspects pratiques des obsèques alors que, dans la réalité, il faut prendre une trentaine de décisions en moins de 24 heures. Toute la loi de 1993 a été fondée là-dessus.

Mayer Sueur01Marc Mayer, membre de l’UCE et de l’Université Libre de Bruxelles (ULB)
et Jean-Pierre Sueur, sénateur du Loiret et vice-président de la Commission des lois.

Jean-Pierre Sueur effectua également un retour sur des sujets périphériques mais indissociables : devis-modèle, contrats obsèques, autopsie judiciaire, etc. ; et sur les textes de loi en suspens, comme le schéma régional des crématoriums, et sur la nouvelle définition des restes humains (après un attentat ou un accident d’avion, par exemple) afin qu’ils ne soient plus considérés comme des déchets chirurgicaux, un texte demandé par les familles des victimes d’attentats.

"Lorsqu’il a été question de légiférer sur la crémation, quatre présupposés ont été adoptés unanimement par le Sénat et l’Assemblée nationale. Premièrement, une fondation issue des grandes lois laïques de la fin du XIXe et du début du XXe, donc celles concernant le droit relatif à l’inhumation et au cadavre. Deuxièmement, est considéré le fait que, dans toutes les civilisations, il y a un respect des restes humains, qu’il s’agisse de corps en décomposition ou de cendres (de "ce qui reste"). C’est un "sentiment" universel dont nous sommes les héritiers."

"Troisièmement, la notion de "trace". Si un être humain est passé sur terre, il est juste que des membres de sa famille, quelle que soit la génération, et les proches puissent, d’une manière ou d’une autre, "garder la trace", se souvenir qu’il ou elle a existé. Enfin, le droit imprescriptible de tout être humain de se recueillir sur ce qui reste d’un être humain. Et sans qu’il y ait aucune discrimination à cet égard. Si on garde ces quatre prérequis, on comprend alors la loi de 2008."

Dans le Code civil, il n’y a que deux entités : les personnes et les choses. Ici, toute la réflexion est portée sur les restes humains. Les cendres ne sont ni une personne ni une chose. La loi confère au cadavre et aux cendres un statut particulier. L’art. 11 de la loi n° 2008-1350 du 19 décembre 2008 relative à la législation funéraire insère, après l’art. 16-1 du Code civil, un art. 16-1-1 ainsi rédigé : "Art. 16-1-1.
- Le respect dû au corps humain ne cesse pas avec la mort. Les restes des personnes décédées, y compris les cendres de celles dont le corps a donné lieu à crémation, doivent être traités avec respect, dignité et décence."

Le sénateur aborda ensuite les différentes dispositions prises dans le texte législatif concernant notamment la conservation des cendres, leur dispersion possible et le lieu de réalisation de celle-ci (jardin du souvenir ou en pleine nature), mémorisation de l’acte via une plaque ou autres dispositifs (électronique aujourd’hui) ou déclaration obligatoire à la mairie de naissance du défunt du lieu de dispersion, pas d’appropriation individuelle de l’urne, recueillement de tout un chacun possible de manière permanente, cendres en tant qu’un "tout" insécable, etc.

Après ces rappels réglementaires, de la genèse aux applications actuelles, utiles à l’ensemble de l’assemblée pour aller plus avant dans les échanges, Bruno Py, professeur de droit privé, apporta un éclairage supplémentaire sur le droit funéraire en parlant de ses aspects moins connus : sanitaire, clinique, pollution, contagion, assimilation dans l’espace public, entre autres, qui souvent expriment de notables différences entre le cadavre et les cendres.

La crémation à travers le monde

Les apports qui suivirent, de Xavier Godard, directeur du crématorium de Bruxelles, de Roberto Ferrari, représentant pour l’Italie, et de Pierre Vidallet, cofondateur de la société des crématoriums de France, permirent d’approcher des caractéristiques propres à ces pays d’Europe, les décalages réglementaires entre eux et leur historique spécifique concernant la mise en place légale de la crémation. Les plus remarquables sont notamment la conservation de l’urne à domicile, le fractionnement des cendres en Belgique ou une disparité régionale du taux de crémation importante pour l’Italie, par exemple…
Pour sa part, Pierre Vidallet, grand voyageur expérimenté à la découverte des crématoriums du monde, présenta sous forme de photos et de commentaires personnels les résultats de ses explorations pour illustrer la grande variété des pratiques (dont celles liées à Internet aux USA), la diversité des cultes et des rituels, la multiplicité des architectures (intérieures et extérieures), la pluralité des modes "réglementaires" de la crémation sur notre planète, les mille et une façons de disperser les cendres (sur terre, sur mer, dans l’espace), etc.

Puis Loïc Lalys, directeur de recherche au CNRS/Aix-Marseille Université, partagea quelques approches anthropologiques avec l’auditoire, et le Pr Didier Desor (UL) en fit ensuite de même dans le domaine de l’éthologie.

Les riches communications du matin laissèrent la place, l’après-midi, à des travaux nourris de nombreux échanges lors de deux ateliers.

Synthèses des ateliers

Du premier atelier, dont le thème était "Volonté du défunt et cadre juridique", quatre points principaux ressortirent, exposés par les deux rapporteurs, Frédérique Plaisant (FFC) et Jean-Paul Petit (UCE). Tout d’abord, avec l’essor de la crémation, possible par la présence croissante d’équipements, par le multiculturalisme et les recompositions familiales, il y a nécessité aujourd’hui de davantage expliciter, informer et écrire les dernières volontés du défunt. Pour exemple, en Belgique, il existe un registre national des dernières volontés, ce qui est un progrès considérable par rapport à d’autres pays, où leurs applications ne sont pas toujours aisées.

Ensuite est constaté le caractère indispensable du cadre juridique qui, dans tous les cas, préserve les intérêts des familles, et permet, en cas de litige, de se référer au droit et d’ester en justice. Le troisième point concerne l’application des volontés dans les zones transfrontalières (avec par exemple la Belgique, l’Allemagne, l’Italie, l’Espagne), celles-ci ne permettant pas toujours de procéder à la crémation, cela étant fonction de la décision des procureurs qui peut varier d’une région à une autre. Enfin, le dernier sujet pointé se rapporte au manque de transparence des informations générales ayant trait aux tarifications et aux contrats obsèques, entre autres.

Pour le second, dont la thématique était "Restes humains et univers médical", les discussions portèrent prioritairement sur la manipulation des déchets et des résidus. Ceux-ci sont divisés en deux classes : non reconnaissables ou identifiables (par un personnel expert). Furent abordés, grâce aux différents intervenants, les processus de traitement qui sont spécifiques en fonction de leurs catégories et leurs cheminements dans le secteur hospitalier (avec toujours une traçabilité maximale). Cela a permis d’identifier les nombreux protagonistes dans le processus, ainsi que les méthodes d’élimination (crémation pour les seconds).
Autre question soulevée, celle des segments biologiques conservés dans un but de recherche. Ils sont stockés dans un centre de ressources biologiques dans des conditions sanitaires et sécuritaires particulières, strictement réglementées, jusqu’à épuisement de la finalité de la recherche. Ils sont ensuite détruits selon les règles fixées pour les autres résidus. Par rapport aux cas traités, on put constater, de la part des participants à la table ronde, une réelle interrogation sur le fait d’informer ou non le patient ou la famille du sort des déchets, cela se posant pour une amputation, un fœtus, un enfant mort-né, etc. Aujourd’hui, l’information n’est pas systématiquement donnée, et il y a là une vraie réflexion à poser dans les futurs débats.

Conclusion dans l’attente de l’ouvrage dédié

Après l’expression de ces synthèses, il fut indiqué qu’une nouvelle publication rassemblerait d’ici quelques mois les actes et les conclusions de ce colloque, comme pour les précédentes éditions sous la direction de Bruno Py, professeur de droit privé à l’Université de Lorraine, et avec le concours des étudiants présents ayant retranscrit patiemment l’ensemble des propos tenus.

En vingt à trente ans, on peut noter de nettes améliorations dans le domaine de la crémation, et du droit dédié, où le législateur a su souvent légiférer lorsque besoin était... Mais il reste encore beaucoup de travail à faire. La progression de la fréquentation enregistrée (15 au 1er colloque, 50 au 2e, 100 au 3e et plus de 130 pour ce 4e) laisse penser que le prochain rendez-vous aura, dans deux ou trois ans, encore plus de participants pour s’y atteler.

Gil Chauveau

Nota bene :
- Il s’agit ici d’une version "abrégée" des communications et des travaux s’étant déroulés durant cette journée. Pour ceux qui souhaiteraient en connaître l’intégralité, il faut patienter jusqu’à sa publication, qui devrait être obtenue ultérieurement auprès des Presses Universitaires de Nancy.

Résonance hors-série n°5 - Décembre 2017

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