Le droit des sépultures, dont la première expression moderne date du décret-loi du 23 prairial an XII, codifié désormais dans le Code général des collectivités territoriales, prévoit au moins deux obligations à l’égard des communes :
- d’une part, en vertu de l’article L. 2223-3, celle d’offrir une sépulture aux personnes décédées sur leur territoire, ou qui y sont domiciliées, quand bien même elles seraient décédées en dehors de celui-ci, à celles qui bénéficient d’un droit à une sépulture de famille, telle une concession dans le cimetière. La loi n° 2008-1350 du 19 décembre 2008, a ajouté une quatrième catégorie, celle des personnes domiciliées à l’étranger mais inscrites sur la liste électorale de la commune.
- d’autre part, l’article L. 2223-13 énonce que "lorsque l’étendue des lieux le permet il peut être délivré des concessions aux personnes désireuses d’y fonder leur propre sépulture et celle de leurs enfants et successeurs".
Il est à noter, et cela a fait l’objet de plusieurs commentaires dans Résonance, que la faculté de construire un caveau et un monument a disparu de ce texte, remanié par la loi du 19 décembre 2008, précitée.
Les articles L. 2223-14 et L. 2223-15 du CGCT permettent aux concessionnaires ou à leurs héritiers, voire ayants cause de pérenniser les concessions temporaires, trentenaires et cinquantenaires par le biais d’un renouvellement, un délai de deux ans leur étant accordé à compter de l’expiration de la concession.
Dans son arrêt en date du 5 décembre 1997, commune de Bachy, la section du contentieux de la Haute Assemblée s’est livrée à une analyse fort intéressante du régime juridique des conditions de délivrance par les maires des concessions funéraires.
Les circonstances qui ont donné lieu à une annulation de l’arrêté du maire de la commune de Bachy, refusant l’octroi d’une concession dans le cimetière de cette commune à Mme X, qui la demandait en vue d’y procéder à une nouvelle inhumation des restes mortels de son père, enterré trente ans auparavant au cimetière de Lille, méritent d’être approfondies.
En effet, Mme X invoquait au soutien de sa demande l’existence dans le cimetière de Bachy, d’une concession funéraire perpétuelle dont elle-même et son père étaient bénéficiaires en qualité de successeurs de la fondatrice.
Pour justifier sa décision d’annuler le refus du maire de la commune de Bachy d’octroyer la concession sollicitée, la section du contentieux du Conseil d’État a été amenée à préciser le contenu respectif et l’articulation du régime du droit à l’inhumation de celui des concessions funéraires, en suivant un raisonnement en trois temps.
Elle a, tout d’abord, constaté que le père de la demanderesse, décédé depuis trente ans, avait droit, en tant que successeur du concessionnaire, à une sépulture de famille dans le cimetière. Elle a alors estimé la circonstance que la concession familiale appartenant à Mme X, n’était pas en mesure d’accueillir immédiatement sa dépouille, faute de place dans le caveau aménagé dans la concession déjà attribuée, n’étant pas de nature à fonder un refus d’octroyer une nouvelle concession.
Par cette position, le Conseil d’État consacre ainsi le droit à sépulture du bénéficiaire d’une concession comme un droit permanent, éventuellement susceptible de s’exercer provisoirement à un autre endroit du cimetière, le temps que les travaux sur le caveau ou une opération de réunion de corps, par exemple, rendent possible l’inhumation dans la concession préexistante.
En second lieu, la section du contentieux a ensuite admis que ce droit restait acquis au père défunt, alors même que celui-ci avait été déjà inhumé à Lille, car si l’obligation d’inhumation faite aux communes s’explique par d’évidentes raisons de décence et de santé publique, les dispositions de l’article L. 2223-3 du CGCT, issues du décret du 27 avril 1889 pris pour application de la loi du 15 novembre 1887 sur la liberté des funérailles, sont aussi destinées à garantir le respect des volontés posthumes du disparu.
Or, comme le soulignait le commissaire du gouvernement, rien n’est plus permanent que la volonté d’un défunt : le droit à sépulture survit donc à l’inhumation, sous l’expresse réserve du respect dû aux morts.
Enfin, en l’espèce, Mme X demandait l’octroi d’une nouvelle concession funéraire pour y enterrer son père.
Or, à la différence du régime de l’inhumation, les textes ne prévoient aucune obligation de concession pour les communes, ce qui rejoint d’ailleurs les principes généraux de l’occupation du domaine public.
La jurisprudence qui a d’abord limité les motifs légaux d’un refus de concession aux seuls impératifs de police des cimetières, tels que l’absence de place ou de risque de trouble à l’ordre public (25 novembre 1921, Dame Niveleau, Rec, p. 274 et 27 avril 1923, Sieur Trottereau-Berthelot, p. 336), a depuis lors adopté une position moins libérale, admettant la légalité de refus fondés sur l’absence ou la faiblesse des liens entre le demandeur de la concession et la commune où se trouve le cimetière (16 novembre 1992, Locre, n° 107857 et 19 décembre 1994, Mennessier-L’Honoret, aux tables du Recueil, p.831).
La section du contentieux a donc estimé que si le refus opposé à Mme X était illégal car fondé sur le motif erroné tiré de ce que son père n’avait pas droit à inhumation dans le cimetière de la commune, il appartenait en revanche au maire de Bachy d’examiner la demande qui lui était présentée en tenant compte de la place disponible dans ce cimetière et de la circonstance que l’intéressée y était bénéficiaire d’une concession familiale.
En tout état de cause, cette décision apporte, une fois de plus, un élément permettant de dissocier le droit à la sépulture dans le cimetière communal, instauré par l’article L. 2223-3 du Code général des collectivités territoriales, du droit à la concession, résultant de l’application de l’article L. 2223-13 et suivants du CGCT.
En revanche, le Conseil d’État en annulant la décision de refus de maire de Bachy d’octroyer une concession à Mme X en se fondant sur un vice de légalité externe, le visa de l’article L. 2223-3, s’est néanmoins gardé de définir les critères selon lesquels un maire peut s’opposer à la délivrance d’une concession.
Cet arrêt est à rapprocher de la position adoptée également par le Conseil d’État le 25 juin 2008, n° 297914, dans un pourvoi en cassation formé contre un arrêt de la cour administrative d’appel de Nancy du 4 août 2006, ayant refusé d’annuler une décision du maire de la commune de Sancy de ne point accorder à plusieurs membres d’une même famille une concession funéraire d’une superficie de 36 m2 afin d’y faire construire un caveau et monument.
Dans ses considérants, la Haute Assemblée est plus diserte sur les éléments qu’un maire peut prendre en compte pour déterminer sa position.
Ainsi il est écrit : "un maire, qui est chargé de la bonne gestion du cimetière, peut, lorsqu’il se prononce sur une demande de concession, prendre en considération un ensemble de critères, parmi lesquels figurent notamment les emplacements disponibles, la superficie de la concession sollicitée au regard de celle du cimetière, les liens du demandeur avec la commune ou encore son absence actuelle de descendance". Puis plus loin : "considérant que c’est par une appréciation souveraine que la Cour administrative d’appel de Nancy a jugé qu’en l’espèce le maire avait pu légalement estimer que l’intérêt de la bonne gestion de l’espace du cimetière justifiait le refus de la concession pour la surface demandée".
Dans cet arrêt, il est également intéressant de noter que la convention européenne de la sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentale s’invitait aux débats, puisque le Conseil d’État a jugé que le refus du maire de la commune de Sancy ne constituait pas une méconnaissance des stipulations de l’article 8.
En fait, le Conseil d’État a fondé sa décision non pas sur le simple refus d’octroyer une concession, mais sur le fait que l’emplacement demandé était de dimensions exorbitantes par rapport à la configuration de l’espace disponible dans le cimetière.
Sans l’évoquer, le Conseil a consacré tacitement le principe général du droit de l’égalité des citoyens devant les charges publiques qui se décline aujourd’hui dans celui de l’égalité devant le service public, en refusant d’obérer les possibilités de satisfaire les demandes en concessions funéraires susceptibles d’être formulées par d’autres habitants de la commune de Sancy.
Certes, le cadre juridique des conditions de la délivrance des concessions dans les cimetières a été quelque peu abondé par ces deux décisions du Conseil d’État, mais force est d’admettre, comme nous l’avions écrit dans un précédent article, que le pouvoir dévolu au maire dans l’exercice de ses compétences en matière de délivrance de concessions dans le cimetière communal n’est pas à proprement parler de nature discrétionnaire, tant le juge de l’excès de pouvoir s’implique fortement dans l’étude des motifs invoqués pour un refus, démarche qui peut, a contrario, s’appliquer également, en cas de recours contre une décision d’attribution.
Jean-Pierre Tricon
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