La canicule de 2003 a connu épilogue dans cette affaire où la décomposition d’un cadavre se trouve au centre d’un rapport de voisinage en raison des dégâts provoqués à l’appartement situé en dessous de celui où va demeurer quelques jours une dépouille en décomposition.

 

Il est possible de se souvenir d’une ancienne affaire où un établissement hospitalier avait vu sa responsabilité engagée du fait qu’un cadavre s’était décomposé en raison des mauvaises conditions de conservation dans la chambre mortuaire - qui à l’époque s’appelait encore la morgue - sur la base d’un contrat de dépôt (Cass. 2e civ., 17 juillet 1991 : Revue trimestrielle de droit civil 1992 p. 412 note P.-Y. Gautier) ! Aujourd’hui, c’est la théorie du trouble anormal de voisinage qui permet au juge de trouver une solution à un contentieux pour le moins sordide ayant permis à certains auteurs l’expression d’un humour particulier (voir F. Rome, Dégâts des os… : Recueil Dalloz 2009, édito 1401).

Les professionnels du funéraire se souviennent de la canicule de 2003 (voir F. Michaud-Nérard, La révolution de la mort, coll. "Espace éthique", éd. Vuibert 2007, p. 68) et des graves insuffisances qu’elle avait démontrées de la part des pouvoirs publics (voir Prof. D. Lecomte, Décès massifs - Situation actuelle - Circonstances particulières - Propositions - Plan d’intervention spécifique : Rapport du 12 mars 2004). Nombreux défunts furent tardivement découverts avec les conséquences en terme de décomposition que l’on imagine, eu égard à cette période de grande chaleur. C’est dans ce cadre que Mme G est décédée et ne fut découverte par son aide ménagère que cinq jours plus tard, la nature ayant entre temps commencé à accomplir son œuvre…ce qui a entraîné une détérioration de l’appartement situé en dessous de celui de la défunte. Mlle D qui habitait cet appartement - que sa mère Mme P veuve D mettait à sa disposition - découvre, à son retour de congés, le 27 août, les conséquences "physiques" du décès de sa voisine. Elle et sa mère engagent donc une action en responsabilité contre Mme S, fille de la défunte.

Cette action, rejetée par le tribunal de grande instance de Paris, est accueillie par la cour d’appel de Paris qui, annulant le jugement du 16 janvier 2007, condamne Mme S. La cour rejette les arguments des parties concernant une éventuelle responsabilité du défunt ; le cadavre est une chose - certes protégée comme l’a expressément indiqué la loi Sueur 2 (loi n° 2008-1350 du 19 décembre 2008 relative à la législation funéraire) dans l’article 16-2 du Code civil - et non une personne, et ne peut dès lors posséder un patrimoine et être responsable.

Les juges choisissent alors la voie du trouble anormal de voisinage pour éviter de régler une question particulièrement difficile, à savoir si cette chose en elle-même (la dépouille) doit connaître l’article 1384 précisant que l’on est responsable des choses que l’on a sous sa garde. Ce fondement "autonome" de la responsabilité de Mme S (voir D. Bert : La reconnaissance d’un trouble anormal de voisinage à raison de la décomposition d’un cadavre : Recueil Dalloz, 2009 J., 1804) est atteinte à travers le droit successoral qui envoie Mme S en possession (et non en propriété comme l’a indiqué à tort le juge d’appel) des biens du défunt par le truchement de l’article 724 du Code civil.

Le cadavre fait donc - malgré la cruauté de l’expression utilisée - partie de la succession et, en quelque sorte, des choses situées dans l’immeuble de la défunte. Mme S, qui n’a pas renoncé à la succession, est donc responsable à ce titre.

À n’en point douter, il demeure préférable, comme dans la loi du 19 décembre 2008 précitée, que le législateur se charge de donner au cadavre un statut, pour éviter ce détour surprenant, si ce n’est choquant, que semble obligé d’emprunter le juge…

Damien Dutrieux

Annexe :

CA Paris (25°ch. A) 28 janvier 2009 (RG n° 07/6322)

Considérant que Mme Jocelyne D. est propriétaire d’un appartement à Paris dans lequel elle héberge sa fille, Mlle Laurie D ; que Mme Daphné G, qui habitait l’appartement situé au-dessus de celui de Mme D, est décédée dans la nuit du 8 au 9 août 2003 ; que son décès n’a été toutefois officiellement constaté que le 13 août 2003, à la suite de la découverte du corps par son aide ménagère ; que Mlle Laurie D, à son retour de vacances le 27 août 2005, a constaté que des coulures de liquides et de matières avaient souillé l’appartement et qu’une odeur insoutenable y régnait ; que les services de l’hygiène de la ville de Paris sont intervenus et ont pulvérisé de l’eau de javel sous pression dans l’appartement ;

Considérant que Mme Delattre et sa fille ont obtenu, par ordonnance de référé du 6 octobre 2004, la désignation d’un expert ; que celui-ci, dans son rapport du 15 février 2005, d’une part a estimé les travaux de réfection nécessaires ainsi que la valeur des équipements ménagers et effets personnels détériorés à la somme globale de 10 787, 29 e, d’autre part, a évalué le trouble de jouissance à 560 € par mois, correspondant au montant du loyer pratiqué dans le secteur ;

Considérant que Mme D et sa fille, appelantes du jugement qui les a déboutées de leur demande de dommages et intérêts prétendent que Mme G aurait commis une faute en souillant l’appartement de ses voisins ; que par ailleurs, qu’elles font valoir qu’en ne s’enquérant pas de sa mère, personne âgée et impotente, pendant la durée de la canicule, Mme S a commis une faute engageant sa responsabilité sur le fondement des articles 1382 et 1383 du code civil ; qu’elles allèguent que si Mme S avait pris journellement des nouvelles de la santé de sa mère , elle aurait rapidement constaté que celle-ci était décédée et les produits de décomposition n’auraient pas détérioré l’appartement de Mme D ;

Considérant que Mme D et sa fille soutiennent, à titre subsidiaire, que le cadavre de Mme G est une chose dont Mme S avait la garde et que sa responsabilité est engagée sur le fondement de l’article 1284 du Code civil, du fait de la décomposition du corps ; que les appelantes prétendent, à titre plus subsidiaire, que si le cadavre de Mme G n’est pas considéré comme une chose mais reste une personne, la responsabilité de Mme S est aussi engagée au sens de l’article 1384 du Code civil ;

Considérant que Mme S réplique que la responsabilité de Mme G ne peut être recherchée, un défunt ne pouvant commettre de faute ; qu’elle expose qu’une aide ménagère se rendait deux fois par semaine au domicile de Mme G et que cette dernière n’était pas délaissée par sa famille ; qu’elle précise que le corps de sa mère a été enlevé par les services de police le 13 août 2003, jour où elle a été informée du décès, qu’elle-même n’avait aucune moyen d’agir et que la situation au cours du mois d’août 2003 a constitué un cas de force majeure ; qu’elle en déduit n’avoir commis aucune faute ;

Considérant que Mme S soutient par ailleurs que la dépouille mortelle de sa mère n’était pas une chose dont elle aurait la garde ni un objet dont elle aurait hérité, le corps humain n’étant pas un bien, mais une personne ; qu’elle affirme que si par application de l’article 1384 du Code civil les parents doivent répondre des faits de leurs enfants, "les enfants n’ont pas à répondre des dommages causés par leurs parents" ;

Considérant qu’il convient de retenir que l’appartement, propriété de Mme Delattre, a été souillé par des écoulements et odeurs provenant de l’appartement situé au-dessus et appartenant à Mme G, du fait que la dépouille mortelle de celle-ci est restée plusieurs jours sans être enlevée ; que Mme S, fille de Mme G, est héritière désignée par la loi ; qu’en conséquence, par application de l’article 724 du Code civil, Mme S a été saisie de plein droit des biens de sa mère dès le décès de celle-ci, et donc de la propriété et de la jouissance de son appartement ; que dès lors sa responsabilité est engagée à raison des dommages anormaux qui ont été causés à l’appartement voisin de Mme D ; qu’elle ne peut opposer la force majeure, en l’absence d’un événement imprévisible et irrésistible susceptible de l’exonérer ; qu’elle doit réparer toutes les conséquences dommageables

En ce compris les dégâts résultant de la désinfection qui a dû être faite dans l’appartement de Mme D ;
[…]
Par ces motifs :
Infirme le jugement et, statuant à nouveau :

Condamne Mme S à payer à Mme P veuve D et à Laurie D la somme de 11 857, 29 € à titre de dommages et intérêts, ainsi que celle de 2 500 € en vertu de l’article 700 du Code de procédure civile.

Condamne Mme S à payer à Mlle Laurie D la somme de 1 000 € à titre de dommages-intérêts pour préjudice moral,

Déboute Mme S de l’ensemble de ses demandes.
[…]

 

Instances fédérales nationales et internationales :

FNF - Fédération Nationale du Funéraire FFPF - Fédération Française des Pompes Funèbres UPPFP - Union du Pôle Funéraire Public CSNAF - Chambre Syndicale Nationale de l'Art Funéraire UGCF - Union des Gestionnaires de Crématoriums Français FFC - Fédération Française de Crémation EFFS - European Federation or Funeral Services FIAT-IFTA - Fédération Internationale des Associations de Thanatoloques - International Federation of Thanatologists Associations