Le droit est traditionnellement hostile aux exhumations superflues et aux inhumations indésirables. L’intangibilité du corps humain ne disparaît pas aussi brutalement que la vie.

 

Si le corps était durant plusieurs siècles considéré comme sacré, on constate que dans notre société contemporaine de nombreuses exceptions sont apparues sous l’effet du courant matérialiste mais aussi de la dilution de l’impact de certaines religions, et de la perte de référence de la société par rapport à la personne.
L’intangibilité du corps vivant s’étend donc en règle générale au corps mort, mais la loi est venue en atténuer considérablement la portée en dérogeant à la prohibition de porter atteinte au cadavre.
C’est ainsi que deux catégories de dispositions législatives ont contribué à l’atténuation du respect dû au corps d’une personne décédée, reposant, une fois n’est pas coutume, sur  les exigences résultant de la progression de la science dans l’appréhension de la mort, dont les causes et les effets de celle-ci.

La première tient à l’utilisation du cadavre à des fins scientifiques.

L’inscription qui figure sur le fronton de l’amphithéâtre de dissection de l’Université de Bologne en dit long sur l’évolution de la science qui très tôt a su tirer une utilité médicale de l’exploitation du corps mort de l’homme : "En ce lieu la mort se réjouit de venir au secours de la vie".

Selon Henri Péquignot, dans l’autopsie clinique, (C. Laïen, déc. 1965), il aura fallu de nombreuses années pour que l’esprit humain accepte que l’on utilise une partie du corps mort au profit des vivants et ce au prix d’un sacrifice minime de notre sensibilité, afin que chacun de nous puisse, en mourant, rendre un dernier service à la collectivité humaine.
Des atteintes à l’intégrité du cadavre peuvent être effectuées au profit de la justice (autopsies judiciaires), au profit de la santé publique (prélèvements en vue de greffes), et au profit de la science (autopsies, dissections et prélèvements scientifiques).
L’histoire démontre que hiérarchiquement l’intérêt scientifique a précédé l’intérêt thérapeutique en autorisant les dissections, puis les autopsies.

1 - La dissection

Dans l’antiquité, les rites d’embaumement des funérailles égyptiennes nous montrent à quel niveau ils pouvaient renseigner les médecins.
Grâce à l’éviscération du cadavre, les médecins pouvaient s’instruire sur la constitution interne du corps humain.
Malgré les réticences de l’Église catholique aux XIIe et XIIIe siècles, le concile de Tours ayant condamné en 1163 la chirurgie considérée comme une pratique barbare, affirmation confortée par la Bulle du pape Boniface VIII, en février 1300, interdisant la dissection sur l’homme, sous la pression des médecins et des souverains, consciente de l’intérêt pédagogique de l’exploration du cadavre, l’Église fut amenée à reconsidérer sa position.
C’est en 1480 qu’elle autorisa la dissection, par la voix de Sixte IV.
À partir des XVIe et XVIIe siècles les dissections vont se multiplier dans des buts curieusement éclectiques dont, certes, l’intérêt scientifique, mais aussi artistique, frisant parfois le ridicule avec le snobisme des bourgeois curieux, dont Molière ne manqua pas de railler cette étrange lubie.
Malgré quelques textes épars, dont une ordonnance du directeur général de la police, en date du 11 janvier 1815, interdisant de prendre des cadavres dans les cimetières, de les ouvrir avant que vingt-quatre heures ne soient écoulées depuis la mort, et ordonne de ne procéder aux enlèvements de corps que de nuit, en utilisant une voiture couverte, c’est avec la loi du 15 novembre 1887, qui institua le principe de la liberté des funérailles, permettant à chacun de prévoir le devenir de sa dépouille, que la procédure du don de corps à la science prit réellement son essor, sous la condition que le défunt l’ait exprimé d’une manière testimoniale de son vivant.
La dissection à but pédagogique pour les étudiants en médecine ou les praticiens, ne peut avoir lieu que dans un institut médico-légal ou un laboratoire d’une faculté de médecine, sur les cadavres de personnes ayant expressément donné leurs corps à la science.

Le praticien qui violerait des sépultures pour se fournir en pièces anatomiques serait passible des sanctions pénales (article 225-17 du Code pénal sur l’atteinte à l’intégrité du cadavre).

2 - L’autopsie

Le langage médical utilise plusieurs formules pour désigner les autopsies : expertises thanatologiques, examen du cadavre ou nécropsies. Cependant il faut se garder de confondre les autopsies des prélèvements destinés à rechercher les causes du décès, et qui donnent lieu à une mention spéciale sur le formulaire de l’acte de décès, conforme au modèle de l’arrêté du ministre de la Santé en date du 24 décembre 1996.

L’autopsie peut être pratiquée soit dans un but judiciaire, soit dans un but scientifique.


a) L’autopsie judiciaire

C’est avec la grande Ordonnance criminelle de 1670 qu’interviennent les premiers textes juridiques de réglementation de la médecine légale.
Et avec l’avènement du Code civil, les actes de la médecine légale vont trouver une consécration législative fondée sur l’article 81, qui prescrit :
"Lorsqu’il y aura des signes ou indices de mort violente ou d’autres circonstances qui donneront lieu de le soupçonner, on ne pourra faire l’inhumation qu’après qu’un officier de police, assisté d’un docteur en médecine ou en chirurgie aura dressé procès-verbal de l’état du cadavre".
Les autopsies judiciaires furent d’abord autorisées par le Code d’instruction criminelle, puis par le Code de procédure pénale qui lui a succédé.

Tous deux ont permis à la justice de violer légalement l’intégrité du cadavre, hors l’accord du défunt, pour permettre à l’enquête judiciaire d’être conduite afin d’établir médicalement les causes du décès et, grâce aujourd’hui aux progrès de la médecine scientifique, de réunir tous les éléments de nature à établir la vérité.
L’existence d’un problème médico-légal est aussi source d’une utilité potentielle pour que soit effectué un prélèvement à but thérapeutique.
Tel est, en particulier, le cas des accidentés de la route ou du travail, pour lesquels le médecin chargé de la constatation du décès, aura la lourde tâche d’évaluer les possibilités de pratiquer des prélèvements d’organes.
Cependant, force est de constater que de telles circonstances, voire opportunités, sont souvent anéanties par la protection des intérêts de la famille du défunt, le médecin légiste se devant de donner la priorité aux besoins de l’enquête judiciaire, sans omettre, également, les hypothèses toujours possibles, pour les familles des défunts, dont les accidentés du travail, mais aussi les initiatives de la justice, suivant en cela les demandes des parties civiles, d’ordonner des autopsies complémentaires après l’inhumation.
Dans un tel contexte, on perçoit aisément que la crémation du corps ne puisse être autorisée, en cas d’existence préalable d’un problème médico-légal, qu’avec l’accord du procureur de la République, territorialement compétent.
Le procureur, voire le juge d’instruction, en cas d’ouverture d’une information judiciaire, sont aussi les garants des procédures permettant de prélever des organes humains en vue de leur transplantation, dès lors qu’ils sont au centre du processus de coordination des interventions des autorités judiciaires et des actes médicaux, les amis aussi sont garants des droits individuels du défunt et de ceux, plus collectifs, de sa famille.
Les lois bioéthiques des 22 décembre 1976 et 29 juillet 1994 l’ont parfaitement perçu, en mettant en place des mécanismes permettant de régler les conflits de valeur propre à l’état de nécessité, l’empressement de guérir ne pouvant transgresser les règles et obligations de la preuve juridique.
La rapidité des procédures a été nettement perçue, si bien que les différents intervenants ont été incités à communiquer le plus rapidement possible, notamment par voie de téléphone ou de télécopie, une permanence ayant même été instaurée au sein de tous les parquets des tribunaux de grande instance.

b) L’autopsie scientifique

Malgré quelques textes épars du XIXe siècle, c’est le décret du 31 décembre 1941 qui institua, dans son article 27, un régime fondé sur une autorisation administrative préalable. Il fut complété par le décret du 17 avril 1943 précisant qu’une autopsie à but scientifique ne pourrait être pratiquée en cas d’opposition des familles.
Sous la pression du corps médical qui se plaignait de ne pas disposer de suffisamment de cadavres pour ses travaux de recherche, intervint le décret du 20 octobre 1947, permettant d’autopsier sans l’autorisation des familles.
Bien que sévèrement critiqué, notamment par les familles, ce texte perdura jusqu’à la loi du 22 décembre 1976, sans que l’on ait enregistré de dérapage majeur au cours de sa longue période d’application.
Le législateur, en 1976, adopta le texte qui spécifiait dans son article 2, alinéa 1 :
"Des prélèvements peuvent être effectués à des fins thérapeutiques ou scientifiques sur le cadavre d’une personne, n’ayant pas fait connaître de son vivant le refus d’un tel prélèvement".
Néanmoins, ce texte fit également l’objet de vives critiques, car il ne différenciait pas la recherche des causes du décès ou des circonstances du décès particulier, lorsqu’elles nécessitaient le prélèvement de viscères, de la recherche fondamentale destinée à faire progresser la connaissance de telle ou telle affection.
Une nouvelle loi s’imposait : elle intervint le 29 juillet 1994, "relative à l’utilisation des éléments et produits du corps humain", qui a modifié substantiellement l’état de droit antérieur, en prescrivant :
"Aucun prélèvement à des fins scientifiques autres que celles ayant pour but de rechercher les causes du décès ne peut être effectué sans le consentement du défunt exprimé directement ou par le témoignage de sa famille".
À défaut d’être attesté, le consentement préalable du défunt pour des prélèvements à des fins scientifiques, peut donc être présumé.
L’intangibilité ou l’inviolabilité du cadavre ne sont donc plus, sous la pression des buts à finalité médicale, scientifiques, voire humanitaires, des principes absolus.
Dans ce contexte, comme nous le verrons dans la deuxième partie de cet article à paraître prochainement, il n’est plus étonnant que la société puisse admettre consensuellement la notion de prélèvement à but thérapeutique.

Jean-Pierre Tricon

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