Dans notre précédent article nous avons mis en exergue que l’intangibilité du corps humain ne disparaît pas aussi brutalement que la vie car la loi est venue en atténuer considérablement la portée en dérogeant à la prohibition de porter atteinte au cadavre.

 

C’est ainsi que deux catégories de dispositions législatives ont contribué à l’atténuation du respect dû au corps d’une personne décédée, reposant, une fois n’est pas coutume, sur les exigences résultant de la progression de la science dans l’appréhension de la mort, dont ses causes et ses effets.

On sait que la première tient à l’utilisation du cadavre à des fins scientifiques et qu’elle se matérialise par "la dissection" : l’autopsie, qu’elle soit judiciaire ou à portée scientifique.

Mais l’utilisation du cadavre peut également être motivée par des fins thérapeutiques.
Dans le rapport sur le colloque de l’amicale des magistrats résistants, du 8 mars 1968, JCP, 1969.I.2247,n°5, René Savatier s’est exprimé en ces termes :
"Ce n’est pas manquer de respect à un cadavre, que d’en relativiser des éléments, en les greffant sur un homme à sauver. Car dans la hiérarchie des valeurs, celles que l’on sauve sur l’homme vivant, personnifiant l’esprit, priment sur celles du cadavre qui, déserté par l’esprit, va retourner à la poussière".

Selon Jean Rostand, dans sa préface de l’ouvrage de Raphaël Dierkens, Les droits du corps et le cadavre de l’homme, "cette valorisation du corps humain, en tant que réserve de tissus et d’organes, ne va pas sans susciter certaines difficultés juridiques, du fait que le corps est, en principe, inviolable et inaliénable. ( …) les atteintes qu’on portera à son intégrité ne seront tolérables qu’autant qu’elles procéderont d’une intervention généreuse, élevée, et tendant à des fins positives, - cliniques, scientifiques ou didactiques".
C’est sur ces fondements philosophiques et scientifiques que la loi a autorisé sous certaines conditions le prélèvement d’organes du mort au profit du vivant, d’abord avec la loi du 22 décembre 1976, dont le but était de construire un édifice juridique global reconnaissant officiellement le principe des prélèvements d’organes en vue de greffes sur l’être humain, en sécurisant l’intervention des médecins.

Les principes adoptés par le parlement de la République française s’articulaient autour de deux grands axes :
- D’abord, en vue d’une greffe ayant un but thérapeutique sur un être humain, un prélèvement peut être effectué sur une personne vivante.
- Ensuite, des prélèvements peuvent être effectués à des fins thérapeutiques ou scientifiques sur le cadavre d’une personne n’ayant pas fait connaître de son vivant son refus d’un tel prélèvement.

Cette loi a donc organisé le régime contemporain du droit de la transplantation d’organes en France et concernait à la fois les donneurs décédés ou vivants.

Ce principe de la dispense de consentement explicite, issu de la loi Caillavet du 22 décembre 1976, a été réaffirmé par les lois bioéthiques du 29 juillet 1994 et du 6 août 2004, qui ont procédé de la même façon.
La loi du 29 juillet 1994 n’a pas remis en cause la présomption de consentement au prélèvement d’organes après décès. Toutefois, le législateur a limité l’application de cette présomption en prenant plus largement en considération qu’auparavant la condition du "donneur" et la finalité du prélèvement, ce qui a abouti à un régime différencié du consentement en fonction des situations.

La loi nouvelle du 6 août 2004, loin de remettre en cause la règle antérieure du consentement présumé, ou si l’on préfère la dispense d’obtention du consentement explicite du "donneur", la maintient et la généralise, sauf exceptions, à tous les prélèvements après décès quelles que soient leurs finalités : thérapeutiques ou scientifiques.
Le souci du législateur a été de simplifier le dispositif pour les praticiens tout en étendant, dans leur intérêt, le champ des "donneurs" potentiels.
La législation prévoit toutefois deux hypothèses dans lesquelles la présomption de consentement peut être renversée :

1 - Lorsque le défunt, de son vivant, a fait connaître son refus de prélèvement sur son corps après la mort.

L’important, dans ce cas, est alors de déterminer les moyens par lesquels le refus de l’intéressé peut être exprimé et porté à la connaissance des tiers. Ainsi, à la différence du droit antérieur, la loi du 6 août 2004 précise que le refus du prélèvement peut être exprimé par tout moyen. La loi a donc redonné force au registre national automatisé, dont le décret du 30 mai 1997 détermine actuellement les conditions de fonctionnement et de gestion, sur lequel le refus, révocable à tout moment, sera enregistré. Il convient de noter que, depuis la loi d’août 2004, les jeunes appelés à la journée du service national sont informés des conditions de l’inscription des volontés sur ce fichier.

Toute personne majeure ou mineure âgée de 13 ans au moins peut inscrire sur ce registre son refus d’un prélèvement sur son corps, après son décès, aussi bien à des fins thérapeutiques que pour la recherche des causes du décès, voire à d’autres fins scientifiques. Une attestation d’inscription est adressée à son auteur, sauf s’il y a renoncé expressément.

2 - Le recueil auprès des proches du défunt de l’opposition exprimée par celui-ci, de son vivant.

Ainsi que le Code de la santé publique l’énonce : "Si le médecin n’a pas directement connaissance de la volonté du défunt, il doit s’efforcer de recueillir auprès des proches l’opposition au don d’organes éventuellement exprimée de son vivant par le défunt, par tout moyen…".

La loi du 29 juillet 1994 faisait référence à "la famille du défunt", alors que celle de 2004 utilise les termes "proches du défunt", collant de ce fait avec l’évolution des mœurs de notre société contemporaine, qui donne parfois la prépondérance aux personnes non unies institutionnellement avec une personne, mais qui n’en font pas moins partie de l’entourage immédiat de celle-ci et dont la durée de vie commune (tel le concubin, qu’il soit PACSÉ ou non), leur aura permis de connaître l’expression de ses volontés, quant au devenir de son corps.
Le droit funéraire connaît d’ailleurs fort bien ces situations, en donnant à la personne ayant qualité pour pourvoir aux funérailles des pouvoirs supérieurs à ceux des membres de la famille légitime d’un défunt.

Il appartient donc à celui qui s’est prononcé favorablement pour le don d’organe, qu’il soit ou non en possession d’une carte de donneur délivrée par l’organisme France ADOT, de faire connaître le plus largement possible auprès de ses proches, mais aussi de son entourage, y compris ses amis, sa volonté, afin qu’ils soient en mesure de témoigner valablement de l’absence d’opposition au don d’organes exprimée de son vivant.

Enfin, la loi du 6 août 2004 a maintenu le principe d’un consentement écrit au prélèvement sur une personne mineure ou majeure sous tutelle ou curatelle : chacun des titulaires de l’autorité parentale, ou le mandataire judiciaire, exerçant les fonctions de curateur ou de tuteur, pour les incapables majeurs, doit donner son accord en cas de prélèvements sur une personne décédée qui était mineure ou majeure incapable.
L’intangibilité ou l’inviolabilité du cadavre ne sont donc plus, sous la pression des buts à finalité médicale, scientifiques, voire humanitaires, des principes absolus.

Force est d’admettre que cette législation s’apparente aux dispositions qui ont été initiées par la loi du 19 décembre 2008, complétant le régime de certaines opérations funéraires, dont la crémation, qui, bien qu’ayant attribué aux cendres cinéraires un statut juridique protecteur, n’en a pas moins maintenu les caractéristiques du régime du décret du 18 mai 1976 : celui--ci avait libéralisé la crémation en ouvrant la possibilité aux familles de la solliciter, hors l’expression écrite des volontés du défunt.

Le droit a donc connu dans le domaine du devenir du corps une évolution cohérente et pertinente, il atténue largement les principes ayant prévalu jusqu’à la première moitié du XXe siècle, c’est-à-dire l’intangibilité du cadavre qui, hormis quelques exceptions judiciaires, se traduisait par son inviolabilité.

Dans un tel contexte, on peut en déduire que le droit à la vie a largement pris le pas sur celui de la mort.

Jean-Pierre Tricon

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