La réduction ou la réunion de corps : éléments sur une opération non réglementée par le Code général des collectivités territoriales.
Pourquoi une telle opération ?

Contrairement à d’autres pratiques funéraires, comme notamment aux États-Unis où l’inhumation est le plus souvent individuelle, la pratique des concessions de famille en France, amène à déposer de nombreux corps dans la même sépulture. Il convient donc de générer de l’espace disponible dans la concession, une fois consumés les corps inhumés. Il s’agit de l’opération de réduction ou de réunion de corps.

Comment se définit cette opération ?

La réduction ou la réunion de corps est l’opération qui consiste à déposer dans une boîte à ossements (dénommée également reliquaire) les restes d’un (réduction) ou de plusieurs (réunion) corps trouvés dans une concession en pleine terre ou dans la ou les cases d’un caveau, cinq ans au minimum après l’inhumation des corps et dans l’hypothèse où il ne reste que des ossements, afin de libérer une ou plusieurs places dans la sépulture et permettre à cette dernière d’accueillir des corps supplémentaires (G. Chaillot, Le droit des sépultures en France : éd. Pro Roc 2004, p. 400 ; D. Dutrieux, Opérations funéraires : JurisClasseur Administratif, fasc. 150-30, n° 79). Cette opération n’est pas définie ni encore moins régie par le Code général des collectivités territoriales (CGCT). Seule la doctrine administrative évoque l’opération mais pour lui donner une définition que contredit le juge.

Comment le ministère de l’Intérieur traite-t-il de cette opération ?

La circulaire n° 95-51 du 14 févr. 1995 relative à la législation funéraire (G. d’Abbadie et C. Bouriot, Code pratique des opérations funéraires, 3e éd. : Le Moniteur 2004, p. 679), concernant certains travaux dans le cimetière, rappelle que, sur le fondement de la loi du 28 déc. 1904, avaient été considérées comme faisant partie du service extérieur des pompes funèbres l’inhumation et l’exhumation des corps ainsi que des "manipulations accessoires" au sein desquelles figurait la réduction de corps (un auteur refuse cependant de considérer que la réduction de corps fait partie du service extérieur des pompes funèbres et considère qu’elle peut être pratiquée par une entreprise non habilitée ; G. Chaillot, précité, p. 400). Un projet de circulaire du ministère de la Santé (adopté le 5 sept. 1996 par le Conseil supérieur d’hygiène de France mais jamais signé, reproduit dans G. d’Abbadie et C. Bouriot, précité, p. 633), reconnaît qu’il ne s’agit pas d’une exhumation et attire l’attention sur la nécessaire décence devant entourer l’exécution de l’opération.

Selon le ministre de l’Intérieur (Rép. min. n° 5187 : JO Sénat Q 14 avr. 1994, p. 873) : "Aucun texte spécifique ne réglemente l’opération de réduction de corps qui consiste à recueillir, à la suite d’une exhumation, les restes mortels dans une boîte à ossements pour la déposer dans la même sépulture. L’article R. 361-17 du Code des communes [CGCT, art. R. 2213-42] dispose toutefois que "lorsque le cercueil est trouvé en bon état de conservation au moment de l’exhumation, il ne peut être ouvert que s’il s’est écoulé cinq ans après le décès. Lorsque le cercueil est trouvé détérioré le corps est placé dans un autre cercueil ou dans une boîte à ossements". De même, la réduction de corps est conditionnée par la délivrance de l’autorisation d’exhumation par le maire de la commune concernée, prévue à l’article R. 361-15 du Code des communes [CGCT, art. R. 2213-40], à la demande du plus proche parent de la personne défunte qui justifie de son état civil, de son domicile et de la qualité en vertu de laquelle il formule sa demande. Par ailleurs, le droit de superposition de corps ou "taxe" de seconde et ultérieures inhumations est perçu dans certaines communes à l’occasion de chaque inhumation autre que la première effectuée dans un terrain concédé dans la mesure où le règlement municipal fixant les tarifs des concessions funéraires prévoit expressément le paiement de ce droit. Sous réserve de l’appréciation souveraine des tribunaux compétents, il n’apparaît pas possible en droit de percevoir à l’occasion d’une opération de réduction de corps un droit ou "taxe" de superposition de corps puisque en l’occurrence il n’y a pas de nouvelle inhumation dans la concession considérée". (confirmation d’une ancienne réponse : Rép. min. n° 35074 : JOAN 26 mars 1977, p. 1275 ; reproduite dans G. d’Abbadie et C. Bouriot, précité, p. 758).

Pourquoi la qualification de cette opération par le ministère est-elle contestable ?

Force est d’admettre une qualification contestable qui consiste pour le ministre à soumettre à la procédure la plus "exigeante" de la réglementation funéraire (puisque demandée par le plus proche parent du défunt et non par la personne ayant qualité pour pourvoir aux funérailles). Par ailleurs, le juge nie l’interprétation donnée par le ministère de l’Intérieur.

Comment le juge administratif qualifie-t-il cette opération ?

Cette appréciation ne correspond néanmoins pas à la position prise par le juge concernant la qualification juridique de la réduction de corps. En effet, du point de vue matériel, la réduction (ou réunion) de corps ressemble à une exhumation, puisque le corps est manipulé et changé de cercueil. Cependant, le corps n’étant pas toujours "physiquement sorti" de la sépulture, le Conseil d’État (CE, 11 déc. 1987, n° 72998, Cne Contes c/ Cristini : Rec. CE 1987, p. 413 ; D. 1988, somm. p. 378, obs. F. Moderne et P. Bon) a refusé expressément de qualifier cette opération d’exhumation et annulé le jugement du tribunal administratif de Nice, du 8 août 1985, qui avait jugé que s’appliquaient les dispositions du Code des communes relatives à l’exhumation (art. R. 361-15 devenu R. 2213-40 du CGCT). Pourtant, si dans une autre espèce relative à une opération de réunion de corps, le Conseil d’État vise, dans les motifs de son arrêt, les dispositions afférentes aux exhumations (CE, 17 oct. 1997, n° 167648, ville Marseille c/ Cts Guien : Rec. CE 1997, tables p. 978), cet arrêt n’a néanmoins pas été considéré comme ayant remis en cause le principe posé par l’arrêt Commune de Contes, puisque le juge, en 1997, ne qualifie pas directement l’opération.

Comment le juge judiciaire qualifie-t-il cette opération ?

La décision du 19 mai 2005 de la cour d’appel de Caen a confirmé l’analyse faite en 1987 par le Conseil d’État, "la réduction de corps n’est pas une exhumation" au sens de l’article R. 2213-40 du CGCT (CA Caen, 1ère ch., 19 mai 2005, RG 03/03750 : Collectivités – Intercommunalité 2005, comm. n° 185, note D. Dutrieux).

La cour d’appel de Dijon, dans un arrêt du 17 nov. 2009, est venue à nouveau confirmer cette position dans des termes des plus clairs (CA Dijon, ch. civ. A, 17 nov. 2009, n° 08/01394 : JCP A 2010, 2172, note D. Dutrieux). Selon le juge, "ce texte [art. R. 2213-40 du CGCT], qui ne traite que de l’exhumation d’un corps, ne peut donc s’appliquer à l’opération funéraire dite de réunion (ou de réduction) des corps qui consiste à rassembler dans une boîte prévue à cet effet les restes des personnes inhumées ; […] il s’ensuit qu’il ne peut être fait grief au maire de la commune d’Allerey-sur-Saône d’avoir commis une voie de fait en omettant de vérifier, préalablement à la délivrance d’une autorisation qui n’était pas requise, si Mme Éliane G. veuve P. avait la qualité de plus proche parent des personnes défuntes inhumées dans la concession numéro 166-487..."

Le maire doit-il réglementer cette opération ?

Cependant, si elle n’est pas une exhumation, au regard des pouvoirs de police dont il dispose, le maire doit intervenir pour réglementer l’opération qui n’est logiquement pas soumise à la surveillance de la police (comme l’observe D. Mastin, Cimetières et opérations funéraires – Guide pratique, 2e éd. : Sofiac 2001, p. 364). Il appartiendra donc au maire de pallier la carence du CGCT en adoptant des dispositions spécifiques dans le règlement du cimetière. Selon les circonstances locales (coutumes et habitudes locales, problèmes liés à une difficile gestion de l’espace disponible dans le cimetière...), l’opération sera ou non autorisée par le règlement du cimetière.

Le maire dispose-t-il de plusieurs options pour réglementer cette opération ?

Il est envisageable de s’inspirer des articles du CGCT relatifs à l’exhumation en adoptant les mêmes obligations, mais l’opération sera alors rendue plus difficile (V. par ex. le modèle de règlement proposé par MM. d’Abbadie et Bouriot, précité, p. 847), étant toutefois précisé que pour procéder à une réduction ou réunion de restes, il importe que le délai de rotation (article R. 2223-5 du CGCT) soit respecté (V. également l’article R. 2213-42 du même Code). Le maire peut également soumettre à déclaration préalable du titulaire de la concession l’opération de réduction ou de réunion de corps, le pétitionnaire devant déclarer à la mairie, les jour et heure de l’opération, ainsi que les corps et/ou les cases du caveau concernés.

Le règlement du cimetière doit donc impérativement contenir des dispositions concernant la possibilité de pratiquer des réductions et réunions de corps et, dans l’affirmative, les modalités relatives à la délivrance de l’autorisation et au contrôle de l’opération. Il conviendra de remarquer qu’en pratique, l’opération de réduction ou de réunion de corps permet de limiter l’espace public consacré aux morts, limitation indispensable dans les agglomérations importantes où l’agrandissement des lieux de sépultures est des plus problématiques.

Que peut faire le titulaire de la concession funéraire si le règlement du cimetière ne traite nullement de cette opération ?
Si le règlement est muet sur l’opération, celle-ci va s’analyser comme de simples travaux sur la concession, travaux qu’il conviendra de déclarer préalablement à la mairie. Le concessionnaire ou ses ayants cause pourront donc librement procéder à la réduction des corps présents depuis plus de cinq années, si l’état de décomposition le permet, évidemment.

Le droit pénal peut-il concerner cette opération ?

S’il en était besoin, il convient de rappeler qu’aucune atteinte à l’intégrité physique du corps ne peut intervenir à l’occasion de l’opération (article 225-17 du Code pénal ; V. également G. Chaillot, précité) et qu’une surveillance de l’opération par les services municipaux s’impose à l’évidence, mais il ne peut s’agir d’une surveillance obligatoire soumise à vacation au sens de l’article L. 2213-14 du CGCT (V. D. Dutrieux, Surveillance des opérations funéraires et vacations funéraires : une simplification acquise, commentaire du décret n° 2010-917 du 3 août 2010 : JCP A 2010, act. 618).

Damien Dutrieux

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