Longtemps pratique minoritaire en France, la crémation connaît une croissance exponentielle depuis ces vingt dernières années. Ce nouveau mode de traitement du corps mort a fait apparaître de nouveaux problèmes juridiques tenant notamment à la nature même du produit de la crémation : Les cendres.
Les premières traces de crémation(1) remontent au paléolithique. Ce mode de traitement des cadavres a traversé l’histoire, les Grecs et les Romains y recouraient parallèlement à l’inhumation. Il en allait de même chez les Germains, les Celtes et les Gallo-romains. L’abandon de la crémation correspond à l’arrivée du christianisme, mais ce n’est qu’en 789 que Charlemagne interdit cette pratique. Mis à part de rares exceptions, la crémation disparaît totalement jusqu’au début de la IIIème République.

En effet, il a fallu attendre la loi des 15 et 18 novembre 1887 pour reconnaître que l’inhumation n’était plus le seul mode de traitement des corps morts. Mais le règlement d’application rendant effective la crémation ne fut promulgué que le 27 avril 1889. Le 19 mai 1886, le Pape Léon XII condamne au nom de l’Église catholique, la pratique de la crémation. Bien que le concile Vatican II lève cette interdiction par un décret du Saint-Office en date du 5 juillet 1963, la crémation ne connaîtra un réel essor qu’au début des années quatre-vingt-dix.

Aujourd’hui, près d’un quart des Français ont recours à ce mode de sépulture. Les causes de cette évolution sont multiples et tiennent notamment à un changement des comportements face à la mort. L’augmentation des équipements cinéraires a également eu un impact indéniable. Les causes de l’augmentation du nombre de crémation révèlent une forme de contestation. Le recul du sentiment religieux, le développement de la vie en milieu urbain, la diffusion des idées écologistes participent de cette évolution. Lorsque les sociologues cherchent à expliquer les raisons qui poussent un individu à choisir le feu plutôt que la terre les raisons philosophiques viennent en tête. D’autres motivations éparses apparaissent : Des raisons écologiques (l’inhumation pollue, il n’y a plus de place dans les cimetières), des raisons économiques (un moindre coût), des raisons pratiques (la volonté de ne pas occasionner des dépenses ou des soucis aux survivants obligés d’entretenir une tombe, la peur que sa propre tombe soit abandonnée), des raisons politiques (pour choquer) ou encore des raisons psychologiques (la peur de la putréfaction). Le psychiatre M. HANUS explique d’ailleurs que la crémation a un aspect "destructeur”, "purificateur” et "sublimatoire”, aidant "la partie spirituelle de l’être humain à se dégager de sa gangue corporelle”(2). L’auteur suppose donc une dépréciation, voire une haine du corps, et parle alors de "suicide post mortem”. Pour l’auteur, le choix de nombreux sidéens pour la crémation s’expliquerait par la volonté de détruire un corps haï.

Tant que le corps n’a pas été crématisé, il doit obéir aux mêmes interdits et aux mêmes délais qu’en vue d’une inhumation. La mise en bière est strictement obligatoire (Art. R.2213-15 du CGCT), seulement les caractéristiques du cercueil et des accessoires sont différentes (Art. R. 2213-25 du CGCT). D’après l’article R.2213-34 du CGCT, la crémation est autorisée par le maire de la commune du lieu du décès ou s’il y a transport du corps, du lieu de la mise en bière. Cette autorisation ne peut être accordée qu’au vu de l’expression écrite des dernières volontés du défunt ou à défaut à la demande de toute personne ayant qualité pour pourvoir aux funérailles.
 
Une première difficulté survient : La personne qui a qualité pour pourvoir aux funérailles est–elle dépositaire de l’urne ? En effet, après la crémation, les cendres sont recueillies dans une urne cinéraire ; celle-ci sera "remise à toute personne qui a qualité pour pourvoir aux funérailles" (Art. R. 2213-39 du CGCT). Le Code ne règle pas la question de la propriété de l’urne. Pour le juge, elle appartient aux héritiers parce que, par assimilation au cadavre, elle fait l’ "objet d’une copropriété familiale, inviolable et sacrée”, l’assimilant même au régime des souvenirs de famille (TGI de Lille, ord., 23 septembre 1997, ML c/ Mme H., n° 792/97RW ou encore CA de Bordeaux, 1ère ch., sect. B, 14 janvier 2003, n° 99/03465, Thebault c/ Nugren, Juris-Data n° 2003-204234).

Les difficultés viennent de ce que le Code ne règle pas le statut légal des cendres. Il règle seulement les destinations possibles de celles-ci. L’urne peut ainsi être déposée dans une sépulture, dans une cavurne ou une case de columbarium ou scellée sur un monument funéraire après autorisation du maire de la commune du lieu de dépôt (Art. R. 2213-39 al. 2 du CGCT). L’urne peut également être déposée dans une propriété privée (Art. R. 2213-39 al. 3 du CGCT). Les cendres peuvent être dispersées en pleine nature mais par sur les voies publiques (Article R. 2213-39 al. 4 du CGCT), ou encore déposées dans la partie du cimetière ou du site cinéraire spécialement aménagé à cet effet comme le jardin du souvenir ou un dépôt cinéraire (Art. R. 2213-39 al. 5 du CGCT). La personne qui a qualité pour pourvoir aux funérailles peut donc emporter l’urne contenant les restes du défunt à son domicile, pratique largement majoritaire en ce qui concerne la destination des cendres.

Depuis le décret n°2007-328 du 12 mars 2007 (JORF 13 mars 2007) intégré dans l’article R2213-39 du CGCT "Le dépôt ou l'inhumation de l'urne ou la dispersion des cendres sont effectués après déclaration auprès du maire de la commune du lieu de dépôt, d'inhumation de l'urne ou de la dispersion des cendres”. L’objectif affiché du décret était, en mettant en place leur "traçabilité”, de créer une forme de contrôle sur le devenir des cendres afin d’éviter des destinations jugées par eux choquantes.

En effet, les cendres ne sont pas protégées, comme peut l’être le cadavre, contre toutes formes d’atteinte. Considéré par certains auteurs comme une pratique "barbare”, le partage des cendres est pourtant devenu une modalité courante pratiquée par les familles. Regrouper des cendres dans une même urne afin de réunir un couple ou les partager entre les membres d’une même famille est même une pratique reconnue par le ministère de l’Intérieur (Rép. min., n° 12 406, JO, Sénat, 26 août 2004, p. 1955).
Certains auteurs militent pour que seuls les dépôts dans une case de columbarium, dans une sépulture, une cavurne ou dans une propriété particulière sur autorisation du préfet soient admis, à l’image de la loi belge du 20 juillet 1971 qui spécifie que la dispersion ou la remise de l’urne à un proche ne peut être autorisée que sur présentation d’un écrit exprimant explicitement la volonté du défunt, alors qu’aujourd’hui la seule parole de celui qui a qualité pour pourvoir aux funérailles suffit. Le partage et la réunion des cendres seraient également interdits. Le sénateur Jean-Pierre Sueur propose d’ailleurs de modifier l’article 16 du Code civil et de légiférer que les cendres d’un défunt doivent être respectées et protégées au même titre que le cadavre, et faire l’objet d’une sépulture décente. Mais il apparaît cependant délicat d’interdire des pratiques développées depuis plus de 10 ans.
 
Cependant les pratiques crématistes interrogent. Au-delà de la volonté d’être crématisé, le défunt a t-il désiré que ses restes reposent sur le bord d’une cheminée ? A-t-il réellement voulu devenir un dieu lare protecteur du foyer ?(3) Il est même possible de s’interroger sur l’attitude de certaines personnes qui empêchent, par le fait même de posséder l’urne à leur domicile, les autres membres de la famille de se recueillir sur les restes mortels du défunt. Les cendres ne sont pas un cadavre, mais elles n’en demeurent pas moins les restes d’un être humain. La question reste entière sans qu’un débat public soit réellement ouvert.

Marion Perchey

Nota :
  1. Du latin cremare, qui signifie brûler. Le mot crémation » sera d’ailleurs préféré à celui d’ « incinération » du latin cinis qui signifie cendres, usité pour désigner la combustion des restes d’animaux ou de déchets. Il sera également préféré au mot « ustion » du latin ustilare qui signifie également brûler, et qui n’est usité que par les archéologues.
  2. Hanus M., La Mort retrouvée, Ed. Frison Roche, 2000, p. 153.
  3. Selon la comparaison faite par X. LABBÉE dans son article « Les dieux lares ou l’urne funéraire à domicile » (D. 2001, n° 31, p. 2545), où il expose la multiplication de difficultés liées à la présence d’une urne cinéraire à domicile : une femme demandant le divorce car ne supportant plus la vue de l’urne funéraire de la première épouse de son mari, une mère obligeant son fils à « dire bonjour » quotidiennement au « petit frère » dont les cendres se trouvent sur la cheminée du salon, ou encore un homme installant un système d’alarme pour empêcher toute personne d’approcher l’urne contenant les cendres de sa défunte épouse.

Instances fédérales nationales et internationales :

FNF - Fédération Nationale du Funéraire FFPF - Fédération Française des Pompes Funèbres UPPFP - Union du Pôle Funéraire Public CSNAF - Chambre Syndicale Nationale de l'Art Funéraire UGCF - Union des Gestionnaires de Crématoriums Français FFC - Fédération Française de Crémation EFFS - European Federation or Funeral Services FIAT-IFTA - Fédération Internationale des Associations de Thanatoloques - International Federation of Thanatologists Associations