Il existe une tendance croissante de l'opinion publique, rejointe par d'intéressantes initiatives locales, pour une nouvelle approche, en termes d'aménagement et de gestion, de cet espace public, seul lieu physique de rencontre entre les vivants et les morts, qu'est le cimetière (voir par exemple : A. Decoux Barrau, Un paysage funéraire en mutation, Journal des Communes, septembre 1998 p. 14-15). Qu'il s'agisse notamment du développement des sites cinéraires ou des cimetières paysagers, il est clair que les cimetières connaîtront, à moyen ou long terme, une profonde mutation concernant leur aspect extérieur, leur architecture et leur aménagement.

 

Reste cependant qu'aujourd'hui les cimetières municipaux, qui obéissent dans leur quasi-totalité aux mêmes principes, sont organisés selon une matérialisation de secteurs.

S'est tout d'abord imposée en pratique une différenciation logique entre les deux modes de sépulture institués par le Code général des collectivités territoriales (CGCT) ; les inhumations dans le terrain commun et celles pratiquées dans les concessions particulières vont le plus souvent s'opérer dans des secteurs distincts du cimetière.

Toutefois, à cette première différenciation est ensuite venue s'en greffer d'autres nées soit de textes particuliers (le carré militaire) soit de la pratique (le carré confessionnel).

Il n'est peut-être pas inutile de s'interroger sur le régime juridique de ces différents périmètres géographiques - dénommés le plus souvent carrés - rencontrés dans les cimetières, après avoir rappelé les règles auxquelles se trouve soumise l'autorité municipale quant à l'aménagement du cimetière - lieu consacré à l'inhumation des morts et, de manière facultative, à la conservation des urnes cinéraires et à la dispersion des cendres.


Les principes gouvernant l'aménagement du cimetière

À la lecture des dispositions légales et réglementaires afférentes au droit des cimetières, doivent être distingués des équipements obligatoires et d'autres facultatifs.

1 - Les équipements obligatoires dans le cimetière

Le premier mode d'inhumation est qualifié d'inhumation en service ordinaire, c'est-à-dire dans des terrains (on parle de terrain commun) mis gratuitement à la disposition des personnes visées par le Code (L. 2223-3 CGCT) pour une durée limitée. Cette durée, nécessaire à la nature pour accomplir son œuvre, est appelée délai de rotation et connaît un délai minimal de cinq années. Aux termes de l'article L. 2223-2 CGCT, le cimetière doit posséder une superficie minimale (au moins cinq fois plus grande que celle nécessaire annuellement à l'ensevelissement des personnes dont l'inhumation est obligatoire pour la commune). Cette inhumation en service ordinaire constitue, en théorie, le droit commun des inhumations.

La possession d'un ou plusieurs terrains spécialement aménagés à cette fin est une obligation pour les communes (L. 2223-1 CGCT).

À cette obligation s'ajoutent : celle d'entourer ce ou ces terrains d'une clôture qui constitue en outre, comme l'entretien du cimetière, une dépense obligatoire pour la commune (L. 2321-2 14° CGCT), celle d'y effectuer des plantations et celle de disposer d'un ossuaire destiné à recevoir les restes des concessions reprises (L. 2223-4 CGCT).

2 - L'aménagement facultatif

Le second mode d'inhumation (dit en concession particulière) n'est nullement obligatoire pour les communes. En effet, l'alinéa premier de l'article L. 2223-13 CGCT dispose que " lorsque l'étendue des cimetières le permet, il peut être concédé des terrains aux personnes qui désirent y fonder leur sépulture et celle de leurs enfants ou successeurs. " (en théorie, une commune peut ne pas vendre de concessions dans son cimetière).

Quand il a été décidé de délivrer des concessions, celles-ci sont géographiquement séparées du terrain commun, et, parfois, séparées entre elles en fonction de leur durée. On rappellera que les droits attachés à la concession obère souvent les prérogatives du maire concernant les modifications de l'aménagement du cimetière puisqu'il ne peut s'opposer ni au renouvellement ni même à la conversion d'une concession funéraire sur ce fondement.

La possession d'un crématorium ou d'un site cinéraire au sein du cimetière (columbarium, jardin du souvenir, jardin d'urnes ...) est également facultative pour la commune (L. 2223-40 CGCT).
"À compter de 2013, le site cinéraire devient obligatoire pour les communes de 2000 habitants."

Aucune disposition n'imposant l'existence d'un conservateur ou d'un gardien, il n'est pas obligatoire d'aménager au sein du cimetière de bureaux ou logements pour ceux-ci. Il en est de même concernant l'existence d'un caveau provisoire ou d'un dépositoire.
Sont également facultatives, mais fréquentes en pratique, des infrastructures collectives telles des abris et sanitaires.

3 - Le pouvoir du maire

Il importe de préciser que le maire dispose d'une prérogative importante puisqu'il peut choisir l'emplacement des sépultures, soit dans le terrain commun soit dans l'espace réservé aux concessions (CE 28/01/1925 Sieur Valès, Rec. CE p. 79 ; CE 15/11/1993 M. Denis, Req. n° 123151). En plus de l'apparition de carrés confessionnels (voir ci-dessous), ce pouvoir a eu pour conséquence, dans certains cimetières, que soit aménagé un espace réservé à l'inhumation des enfants (parfois qualifié de carré des enfants).

Un "faux" carré : le carré des indigents

Il est fréquent dans les cimetières d'utiliser cette expression de secteur ou carré des indigents (le juge administratif lui-même l'emploie ; TA Lille 11 mars 1999 Kheddache c/ Commune de Maubeuge, Req. n° 97-338).

En effet, bien que le terme d’indigent ait disparu des textes avec la loi du 8 janv. 1993 (voir : G. d'Abbadie, L'inhumation des personnes dépourvues de ressources suffisantes, dans G. d'Abbadie et G. Defarge, Opérations funéraires, Imprimerie nationale 1998, p. 162-163), il est encore utilisé de facto pour qualifier les personnes dont les frais d'inhumation sont obligatoirement (L. 2213-7 et L. 2223-27 CGCT) à la charge de la commune.

Ces personnes sont inhumées dans le terrain commun.

En pratique, l'inhumation dans le terrain commun demeure l'exception par rapport à l'inhumation en concession (voir : Denis Piveteau, conclusions sur : Conseil d'État, Section, 5 déc.1997, Commune de Bachy c/ Mme Saluden-Laniel, AJDA 1998 p. 258-265) et, très souvent, ne sont inhumées en service ordinaire que les personnes dépourvues de ressources suffisantes.

Dès lors, ce que l’on appelle le carré des indigents n'est autre que le terrain commun (ou une partie de celui-ci) et connaît donc le même régime juridique que celui-ci !

Parfois d'ailleurs, est considéré, à tort, que le terrain commun est réservé à ces personnes alors qu'il est ouvert à toutes les personnes mentionnées à l'article L. 2223-3 CGCT (principalement aux personnes décédées sur le territoire de la commune et à celles qui y sont domiciliées quel que soit le lieu du décès).

Un carré réglementé : le carré militaire

Il s'agit du seul véritable carré dans le cimetière, c'est-à-dire un espace dans le cimetière que les textes destinent exclusivement au regroupement de sépultures aux caractéristiques communes, les sépultures militaires.
Pour ces sépultures militaires se trouvant dans le cimetière communal, le Code général des collectivités territoriales (L. 2223-11) opère un renvoi aux articles L. 498 et suivants du Code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre.

Ce code pose les principes suivants (les principales dispositions du Code des pensions militaires applicables aux cimetières militaires nationaux et aux carrés militaires des cimetières municipaux sont reproduites dans : G. d'Abbadie et C. Bouriot, Code pratique des opérations funéraires, Éditions Le Moniteur 2000, p. 1015-1044) :
- le regroupement (par nationalité dans la mesure du possible) des sépultures perpétuelles des militaires français et alliés "morts pour la France" dans les cimetières nationaux ou dans les carrés spéciaux des cimetières communaux (L. 498, L. 505 et R. 564) ;
- les communes ont droit à une compensation financière de la part de l'État pour les frais supportés en raison de la présence de ces sépultures, de l'agrandissement du cimetière que leur présence a imposé et pour leur entretien (L. 507 à L. 509 et A. 222) ;
- les familles des personnes inhumées peuvent déposer des fleurs naturelles et objets destinés à honorer la mémoire des morts sur les sépultures mais n'ont aucun droit de construire un monument (D. 424 et A. 221 bis).

Daniel Mastin (Cimetières et opérations funéraires, Sofiac 1997, p. 58) rappelle à juste titre que l'obligation d'entretien des sépultures contenues dans le carré militaire du cimetière communal incombe à l'État qui en demeure le seul responsable - même si cet entretien a été confié par l'État à la commune (CE 30/11/1934 Minart, Rec. CE p. 1130 ; CE 18/04/1956 Ministre des Anciens Combattants c/ Dame Balique, AJDA 1956 p. 332).

Un carré "illégal" mais dont la création est incitée : le carré confessionnel

L'article 15 du décret du 23 prairial an XII prévoyait l'obligation pour les communes de réserver dans les cimetières une surface proportionnelle aux effectifs de fidèles des différents cultes et faisait aux familles obligation de déclarer le culte du défunt. Ce texte fut abrogé par la loi du 14 nov. 1881.


De même, depuis 1905, le respect d'une stricte neutralité s'impose à l'administration tant pour l'organisation et le fonctionnement des services publics que pour les monuments publics sur lesquels il est interdit d'élever ou d'apposer tout signe ou emblème religieux (l'article 28 de la loi du 9 déc. 1905 a cependant exclu de cette dernière règle les terrains de sépulture dans les cimetières et les monuments funéraires).

Malgré ces textes, sont néanmoins apparus dans certains cimetières des regroupements de fait des sépultures de personnes de même religion, appelés carrés confessionnels, en contradiction manifeste avec l'interdiction d'effectuer des distinctions à raison des croyances ou culte du défunt.

Deux explications de ce phénomène peuvent se trouver, d'une part, dans le pouvoir du maire de choisir l'emplacement des concessions (et donc en pratique la possibilité de procéder à ces regroupements), et, d'autre part, dans la réponse de certaines municipalités à des demandes émanant de communautés religieuses (après avoir principalement concerné les sépultures de personnes de confession juive, ces regroupements furent appliqués à la communauté musulmane à partir des années 1960).

1 - Les incitations au développement des carrés confessionnels...

Le maintien de ces regroupements et leur développement furent en quelque sorte encouragés par le ministère de l'Intérieur. En effet, ce dernier, tant dans ses circulaires (Circ. n° 75-603 du 28/11/1975 et n° 91-30 du 14/02/1991) que dans ses réponses aux questions écrites des parlementaires (Rép. min. n° 27526, JOANQ 18/06/1990 p. 2928, Rép. min. n° 36347, JOANQ 25/03/1991 p. 1233, Rép. min. n° 59726 JOANQ 19/10/1992 p. 4821, Rép. min. n° 8815 JOANQ 08/08/1994 p. 4047) invita les maires à donner une réponse favorable aux sollicitations des communautés (était principalement concernée par les circulaires et les réponses ministérielles la confession musulmane).

Toutefois, le ministre, conscient des problèmes juridiques que peut générer la création de tels carrés au sein des cimetières, appela les maires à une certaine prudence concernant la réalisation matérielle de ces carrés.

Ainsi, le maire devra prendre soin de ne pas matérialiser le carré (en l'isolant dans le cimetière par une clôture ou des plantations) et de ne pas motiver les autorisations d'inhumation ou la délivrance de concession (ou leur refus) sur l'avis des autorités religieuses, ni même de solliciter l'avis de ces dernières.


En d'autres termes, s'il semble indispensable que les communes continuent à répondre favorablement aux demandes des communautés de bénéficier de carrés confessionnels, aucun statut légal ne peut leur être conféré, en raison de leur illégalité.

La récente circulaire du 19 fév. 2008 du ministre de l’Intérieur confirme la nécessité de développer les carrés confessionnels (D. Dutrieux, Carrés confessionnels : au bon vouloir des maires !: La lettre du Cadre Territorial, n° 382, 15 juin 2009, rubrique "Alerte", p. 46).

2 - ... malgré leur illégalité

L'illégalité des carrés confessionnels se fonde tant sur les textes que sur la jurisprudence.

On peut rappeler que le CGCT pose le principe de la neutralité du cimetière dans son article L. 2213-9 en prohibant l'établissement de "distinctions ou de prescriptions particulières à raison des croyances ou culte du défunt".

Dans les cimetières publics, eu égard aux règles évoquées, il ne peut donc exister, aux yeux de l'autorité publique, une quelconque distinction entre les sépultures selon le caractère religieux (ou l'absence de caractère religieux) qu'elles revêtent.

Certes, si l'obligation de neutralité s'impose aux autorités chargées de sa gestion, le cimetière demeure un espace public où vont coexister, sur les parties réservées aux sépultures, différents signes ostentatoires des opinions religieuses des personnes qui y sont inhumées. Cependant ces sépultures ne doivent pas en principe être regroupées.


L'interdiction de différencier les sépultures sur le critère de la confession des personnes qui y sont inhumées, telle qu'elle se déduit des textes, est de surcroît confirmée par le juge.


Le juge n'admet pas, en effet, l'existence de ces carrés confessionnels (TA Grenoble 05/07/1993 Époux Darmon, JCP, éd. G., 1994, II, 22198 p. 33-35, note P.-H. Prélot). La position du juge est claire puisqu'il précise que le maire ne peut refuser une autorisation d'inhumation dans un carré sur le fondement de l'avis de l'autorité religieuse. Or, la présence d'un carré, regroupant les sépultures de personnes professant la même religion, implique logiquement que seules les personnes appartenant à cette communauté pourront y être inhumées. Mais il ne ressort pas des compétences du maire de définir si une personne pour laquelle est sollicitée une inhumation appartient ou non à une communauté ! L'interdiction de solliciter l'avis de l'autorité religieuse signifie donc que le carré n'existe pas juridiquement (sinon comment admettre l'inexistence d'un droit de regard de cette autorité?).

Il semble dès lors impossible de concilier en droit le principe de neutralité du cimetière et la présence de carrés confessionnels (dont la nécessité est pourtant reconnue).


Ces carrés ne connaissent donc pas de régime juridique particulier, et, les concessions qui les composent se voient appliquer - ou plutôt, devraient normalement se voir appliquer - celui des concessions funéraires (en pratique, dans certains cimetières, la gestion des carrés échappe totalement à la commune).


Damien Dutrieux,
Consultant au CRIDON Nord-Est, Maître de conférences associé à l’Université de Valenciennes.

Instances fédérales nationales et internationales :

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