Dans un arrêt du 2 mars 2010, la Cour administrative d’appel de Bordeaux vient rappeler que bien que s’agissant d’un acte administratif individuel, le juge judiciaire conserve néanmoins une compétence en la matière. Par ailleurs, confirmant un arrêt de la Cour administrative d’appel de Douai du 4 octobre 2007, cet arrêt mérite de retenir l’attention.

 

Étrange arrêt rendu par la Cour administrative d’appel de Bordeaux qui, s’il reconnaît à juste titre la compétence du juge judiciaire (2), s’égare concernant l’analyse de l’acte administratif que constitue la concession funéraire (1).

1 - La qualification de la concession funéraire comme acte individuel

Dans l’arrêt du 4 octobre 2007 de la Cour administrative d’appel de Douai, commune de Thun-l’Évêque (n° 07DA00516), était indiqué : "Considérant que les décisions portant attribution de concessions funéraires perpétuelles sont des décisions individuelles créatrices d’un droit réel immobilier au profit de leurs bénéficiaires ...".

La Cour administrative d’appel de Bordeaux prend la même position. Selon le juge administratif, en effet, "l’arrêté du 29 mars 1955 par lequel le maire de Brive-la-Gaillarde a accordé une concession centenaire à Mme Y dans le cimetière de la commune a le caractère d’une décision individuelle créatrice de droits".

Cette analyse est erronée et le Conseil d’État, s’il était saisi d’un pourvoi en cassation devrait casser l’arrêt d’appel pour ce motif, puisque tout le raisonnement du juge est fondé sur cette qualification.

La qualification de contrat administratif résulte d’une ancienne et constante jurisprudence du Conseil d’État. Ainsi, à l’occasion principalement de contentieux ayant trait à la responsabilité communale, le Conseil d’État a jugé nécessaire de rappeler que le caractère particulier de l’objet du contrat (fonder une sépulture) a pour effet qu’à la différence des autres contrats portant occupation du domaine public, la concession funéraire n’est ni précaire ni révocable (CE, ass., 21 oct. 1955, Méline : Rec. CE, p. 491).

Cette qualification a toujours été reprise par les tribunaux administratifs. Ainsi, le tribunal administratif de Paris, dans un jugement commenté par un spécialiste reconnu du droit administratif des biens, a indiqué que la commune ne peut résilier la concession (sauf à saisir préalablement le juge administratif à cette fin en raison de la faute du concessionnaire : TA Paris 21 avr. 1971, ville de Paris c/ Sieur Ribette et Manoury et Dame Ropert : AJDA 1972, p. 164, note P. Godfrin).

De même, le Conseil d’État a expressément indiqué que devaient être respectés en matière de contentieux de la responsabilité les principes inhérents à la responsabilité contractuelle (CE, 1er déc. 1976, Bérézowski, n° 98946 ; voir sur ce point la note éclairante d’un spécialiste des contrats publics publiée au Recueil Dalloz : D 1978, J., p. 45, note L. Richer).

S’il en était besoin, il convient de noter que la doctrine est unanime concernant la qualification contractuelle de l’acte fondant la sépulture (voir parmi les études les plus connues de spécialistes reconnus du droit des collectivités locales : - J. Georgel, Notre dépouille mortelle : AJDA 1963 p. 607 ; - J.-M. Auby, note sous T. confl., 25 nov. 1963, commune Saint-Just-Chaleyssin : JCP G 1964, II, 13493 ; - J. Moreau, La police des cimetières : "Collectivités locales", Dalloz, tome 3, n° 231522 ; - F. Moderne, Le droit des concessions funéraires : Quotidien juridique 25 nov. 1980, p. 3).

Dès lors, en confondant la forme de l’acte (l’arrêté du maire) et la nature de l’acte (qui demeure juridiquement un contrat portant occupation du domaine public), la Cour administrative d’appel de Bordeaux a, comme celle de Douai, nécessairement commis une erreur dans le droit applicable à l’affaire dont elle était saisie.

2 - La compétence du juge judiciaire en matière de concession funéraire

Le caractère familial reconnu à la sépulture a pour effet de générer parfois des litiges au sein des familles quant aux droits respectifs des titulaires de la concession.

C’est donc le juge judiciaire qui, en cas de contestation, appréciera le droit d’être inhumé dans la concession familiale (comme en l’espèce) ou les demandes d’exhumation. Il ne s’agit pas d’apprécier la validité de l’autorisation d’inhumer ou d’exhumer délivrée par le maire ; est concernée ici l’hypothèse où, alors que le maire est sollicité pour délivrer une telle autorisation, une opposition se manifeste sur le droit à être inhumé dans la concession familiale ou sur l’exhumation demandée (dès lors le maire sursoit à statuer et invite les parties à saisir le juge judiciaire), la validité des donations et des dispositions testamentaires relatives à la concession, et la nature des droits et obligations respectives des indivisaires quant à la concession (voir M. Perrier-Cussac, Les droits du titulaire d’une concession funéraire : JCP N 1990, doctr. p. 343 [et nombreuses jurisprudences citées]).


Damien Dutrieux,
consultant au CRIDON Nord-Est, Maître de conférences associé à l’Université de Valenciennes

Annexe

Cour administrative d’appel de Bordeaux, 3e ch., 2 mars 2010, n° 08BX02222, M. Gilbert X
Vu la requête enregistrée au greffe de la cour le 21 août 2008, présentée pour M. Gilbert X, demeurant ..., par Me Alain Pagnoux ;

M. X demande à la cour :
1°) d’annuler le jugement n°s 0700882, 0700887 du 19 juin 2008 par lequel le tribunal administratif de Limoges a rejeté sa demande en annulation de la décision du 29 mai 2007 par laquelle le maire de Brive-la-Gaillarde a refusé d’abroger l’arrêté du 29 mars 1955 accordant une concession centenaire à Mme Y dans le cimetière de la commune ;

2°) d’annuler, pour excès de pouvoir, ladite décision du 29 mai 2007 ;

3°) d’enjoindre au maire de Brive-la-Gaillarde d’abroger l’arrêté du 29 mars 1955 dans un délai de quinze jours ;

4°) à titre subsidiaire, d’annuler l’arrêté du 29 mars 1955 et dire que MM. Gilbert et Michel X sont les bénéficiaires de la concession funéraire ;

5°) à titre très subsidiaire, de dire que Mme Sylvie Z et M. Christian A ne pourront prétendre à aucune part ou droit sur la concession ;

6°) de mettre à la charge de la commune de Brive-la-Gaillarde une somme de 3 000 € au titre de l’article L.761-1 du Code de justice administrative ;

Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le Code général des collectivités territoriales, notamment ses articles L. 2223-13 à L. 2223-17 ;
Vu le Code général de la propriété des personnes publiques, notamment son article L. 2331-1 ;
Vu le Code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l’audience ;
Après avoir entendu au cours de l’audience publique du 2 fév. 2010 :
- le rapport de M. Pottier, conseiller,
- les observations de Me Pagnoux, pour M. X,
- et les conclusions de M. Vié, rapporteur public ;
La parole ayant été à nouveau donnée aux parties ;
Sans qu’il soit besoin de statuer sur la recevabilité des conclusions à fin d’interprétation ;
Considérant que, sous réserve de dispositions législatives ou réglementaires contraires, et hors le cas où il est satisfait à une demande du bénéficiaire, l’administration ne peut retirer ou abroger une décision expresse individuelle créatrice de droits mais illégale que dans le délai de quatre mois suivant l’intervention de cette décision ; que l’arrêté du 29 mars 1955 par lequel le maire de Brive-la-Gaillarde a accordé une concession centenaire à Mme Y dans le cimetière de la commune a le caractère d’une décision individuelle créatrice de droits ; qu’il ressort des termes même de cet acte que la concession a été attribuée à Mme Y, et non à M. X et son frère ; que, si M. X indique dans la demande qu’il a adressée au maire tendant à l’abrogation dudit acte, que Mme Y, sa mère, a méconnu le mandat verbal en vertu duquel elle devait demander une concession centenaire au nom de son frère et du sien avec la somme de 12 000 F qu’il lui avait remise à cette fin, que cette méconnaissance qui soulève un litige purement privé, n’était pas de nature à induire en erreur l’administration dans l’appréciation du droit propre de Mme Y à bénéficier d’une concession ; qu’ainsi, M. X n’est pas fondé à soutenir que la décision du 29 mai 2007 par laquelle le maire de Brive-la-Gaillarde a refusé d’abroger l’arrêté du 29 mars 1955 serait entachée d’illégalité, ni que lui et son frère seraient les titulaires de ladite concession ; qu’il résulte également de ce qui précède que les conclusions directement dirigées contre l’arrêté du 29 mars 1955 ne peuvent qu’être rejetées ;

Considérant, par ailleurs, que, si les litiges relatifs aux contrats de concession de terrains dans les cimetières, qui comportent occupation du domaine public communal, relèvent de la juridiction administrative, les conclusions tendant à ce que la cour dise que Mme Sylvie Z et M. Christian A ne pourront prétendre à aucune part ou droit sur la concession soulèvent, dans les circonstances de l’affaire, un litige de droit privé qu’il n’appartient pas au juge administratif de connaître ;

Considérant, dès lors, que M. X n’est pas fondé à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Limoges a rejeté sa demande ; que les conclusions à fin d’injonction et celles présentées par le requérant au titre de l’article L. 761-1 du Code de justice administrative ne peuvent par suite qu’être rejetées ; qu’en revanche, il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de condamner M. X à verser à la commune une somme de 1500 € au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;

Décide :
Article 1er : La requête de M. X est rejetée.
Article 2 : M. X versera à la commune de Brive-la-Gaillarde une somme de 1 500 € au titre de l’article L. 761-1 du Code de justice administrative.

Instances fédérales nationales et internationales :

FNF - Fédération Nationale du Funéraire FFPF - Fédération Française des Pompes Funèbres UPPFP - Union du Pôle Funéraire Public CSNAF - Chambre Syndicale Nationale de l'Art Funéraire UGCF - Union des Gestionnaires de Crématoriums Français FFC - Fédération Française de Crémation EFFS - European Federation or Funeral Services FIAT-IFTA - Fédération Internationale des Associations de Thanatoloques - International Federation of Thanatologists Associations