C’est le 10 juillet dernier que Jean-Pierre Sueur, sénateur du Loiret, vice-président de la Commission des lois, a présenté publiquement au Sénat son rapport d’information relatif à la pratique de la thanatopraxie (rapport n° 654). Suite à cet événement que l’on peut qualifier d’historique, car sans précédent depuis l’arrivée de la thanatopraxie dans l’hexagone en 1963, nous avons souhaité revenir, avec son auteur, sur les motivations et autres objectifs qui ont inspiré cette production.

 

Sueur JP2012Résonance : Monsieur le sénateur, comme vous l’avez, à très juste titre, précisé lors de sa présentation, ce rapport fait date dans l’histoire de la thanatopraxie. Cela étant, cette pratique est tout de même présente en France depuis de nombreuses années (1963). Pourquoi le législateur s’est-il intéressé si tardivement à cette profession ?

Jean-Pierre Sueur : Il est vrai que ce rapport est, à ma connaissance, le premier rapport parlementaire consacré à la thanatopraxie. Sauf erreur de ma part, il ne doit pas y avoir de précédent. Pourquoi ? Sans doute parce qu’il n’est pas toujours simple ni facile d’aborder dans le champ politique ou parlementaire les questions relevant du domaine funéraire. Lorsque j’ai été nommé secrétaire d’État aux collectivités locales, en 1991, j’ai trouvé sur mon bureau le dossier "pompes funèbres". Il s’agissait alors de mettre fin au monopole : un rapport très sévère de trois inspections générales avait montré les effets plus que pervers du système en vigueur.

Je dois dire que beaucoup ont alors cherché à me dissuader de me lancer dans la préparation du projet qui deviendrait la loi de 1993. Je suis passé outre parce que j’ai bénéficié du total soutien de Pierre Bérégovoy et parce que je me suis convaincu de ce qui deviendra ma "ligne de conduite" depuis plus de 25 ans sur ces sujets sensibles : il faut protéger les familles endeuillées, éprouvées et donc vulnérables ; cela suppose une transparence totale ; et les pouvoirs publics ont un rôle essentiel à jouer pour garantir cette nécessaire protection des familles, et donc cette indispensable transparence.

C’est ce même état d’esprit qui m’a guidé lorsque nous avons fait au Sénat un premier rapport avec Jean-René Lecerf, et lorsque j’ai pu faire voter des législations sur les contrats obsèques, la transparence des prix, les devis modèles, l’autopsie judiciaire, les règles relatives à la crémation, etc. Je vous rappelle que, s’agissant de la loi de 2008, qui traite de plusieurs de ces sujets, si le rapport fait avec Jean-René Lecerf a facilité son examen au Sénat, j’ai dû attendre plus de deux ans - et multiplier les interventions auprès des ministres chargés des Relations avec le Parlement et de députés - pour que le texte adopté par le Sénat soit enfin inscrit à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale. On m’expliquait qu’il y avait d’autres priorités, et que ce n’était pas urgent ! Ce n’est jamais urgent… Ce sujet "non urgent" concerne cependant, et inéluctablement, toutes les familles, et chacune et chacun d’entre nous…

Dans tous ces travaux, je me suis souvent rendu compte qu’il y avait beaucoup de choses à analyser, à préciser et à réformer s’agissant de la thanatopraxie. C’était le seul sujet du domaine funéraire que je n’avais pas encore traité. J’ai donc sollicité de mes collègues sénateurs de la commission des lois du Sénat d’être mandaté pour faire un rapport complet sur ce sujet - et ils ont bien voulu me confier cette mission. Je viens donc de publier, au nom de notre commission, un rapport intitulé : "Définir enfin un cadre rigoureux pour l’exercice de la thanatopraxie : une urgence pour les familles et les professionnels". Ce rapport a demandé un an de travail. J’ai auditionné, au cours de cette année, 85 personnes. Et le rapport présente 58 propositions.

R : Le rapport préconise le fait que, comme c’est déjà le cas pour les opérateurs de pompes funèbres, les professionnels de la thanatopraxie ne soient plus régis que par un seul ministère de tutelle, à savoir, celui de l’Intérieur. Pourtant, par le passé, ce dernier avait repoussé cette possibilité. Qu’en sera-t-il vraiment si les propositions du rapport sont adoptées ?

J-PS : Au fur et à mesure que je travaillais sur le sujet, il m’est apparu que le fait que trois ministères soient chargés de la thanatopraxie sans qu’aucun ne soit "chef de file" était préjudiciable. Certes, chacun de ces ministères a un titre à suivre la question :

le ministère de l’Intérieur et celui chargé des Collectivités locales gèrent le suivi et le contrôle de la profession, qui est règlementée par le Code Général des Collectivités Territoriales (CGCT) ;
le ministère de la Santé gère aujourd’hui la formation des thanatopracteurs, l’organisation de la délivrance du diplôme national et la protection des risques sanitaires, notamment liés à l’utilisation du formaldéhyde ;
le ministère du Travail gère la sécurité et la conformité à la loi et aux règlements des pratiques professionnelles des thanatopracteurs salariés - on peut d’ailleurs considérer qu’il y a, à cet égard, une carence concernant les thanatopracteurs non salariés.

Or, le fait qu’aucun de ces ministères ne soit "chef de file" crée de réelles difficultés pour le pilotage de l’activité et la coordination de la politique publique de suivi de ce secteur. Des considérations de sécurité sanitaire ont autrefois été invoquées pour rattacher l’administration de la profession de thanatopracteur au ministère de la Santé. Mais le diplôme national de thanatopracteur ne conduit pas à une profession paramédicale, mais à une activité réglementée, faisant partie intégrante du service extérieur des pompes funèbres.

Dès lors, compte tenu de l’intérêt de disposer d’une unité dans la gestion de la profession et de l’activité, y compris la formation, l’organisation du diplôme, son intégration dans le processus post mortem, les questions relevant de l’État et des collectivités locales, il m’apparaît logique que le ministère en charge du secteur funéraire soit le "chef de file" du pilotage public du secteur de la thanatopraxie, et donc le ministère de l’Intérieur, en lien, bien sûr, avec le ministère chargé des Collectivités locales.

J’ajoute que le Conseil National des Opérations Funéraires (CNOF), qui regroupe tous les acteurs du domaine funéraire, relève de l’organisation et du suivi du ministère de l’Intérieur.
Enfin, le rapport préconise qu’il puisse y avoir un comité de pilotage tripartite regroupant, autour du ministère de l’Intérieur, les ministères de la Santé et du Travail.

R : Monsieur le sénateur, vous affichez une réelle bienveillance vis-à-vis des familles, notamment en souhaitant leur offrir, là encore, un maximum de transparence au regard des prestations de thanatopraxie. Qu’est-il ressorti, sur ce sujet, lors des nombreuses auditions que vous avez réalisées depuis 2017, et pensez-vous qu’il puisse être nécessaire de mettre en place une nomenclature standardisée de ces différentes prestations afin d’aider les familles à les identifier, dans un devis modèle, par exemple ?

J-PS : Vous le savez, et je l’ai rappelé ci-dessus, cette question est pour moi absolument centrale. J’ai toujours dit aux opérateurs funéraires, souvent réticents, que la transparence relative aux prix était une absolue nécessité, et qu’il fallait faciliter les choix effectués par les familles endeuillées et éprouvées. Ces choix doivent pouvoir être faits en toute objectivité. D’où les devis modèles que j’ai défendus contre vents et marées, et qui sont aujourd’hui une obligation légale pour les entreprises, qui doivent les déposer chaque année, et pour les communes qui doivent obligatoirement les mettre à disposition des familles.
Les devis modèles sont régis par l’arrêté du 23 août 2010 du ministère de l’Intérieur. Il mérite aujourd’hui à mon sens, sur la question de la thanatopraxie comme sur d’autres, d’être précisé. Ainsi, il est question dans cet arrêté, d’une part, de "soins de conservation" et, d’autre part, de "toilette mortuaire : préparation et maquillage du défunt". J’ai considéré que, pour beaucoup de familles, la première de ces appellations n’était pas claire - ou plutôt n’était pas clairement perçue.

Compte tenu du fait que la toilette et l’habillage ont lieu dans tous les cas, il ne me paraît pas forcément utile de prévoir un coût - ou en tout cas un coût élevé ! - pour ces opérations qui font naturellement partie de la prestation assurée dans une chambre mortuaire ou au sein des locaux d’une entreprise de pompes funèbres. En revanche, il me paraît important, essentiel, de bien distinguer la thanatopraxie complète, invasive, d’une part, et les soins de présentation, d’autre part.

Vous ne pouvez pas vous figurer le nombre de familles qui n’ont jamais réfléchi avant d’être confrontées au décès d’un proche, à la différence entre les deux modalités, dont le prix peut varier dans de grandes proportions, car le travail n’est pas du tout le même ! Il faut donc que les choses soient précisées et que les prix soient annoncés, noir sur blanc.

Reste enfin le cas des "retraits de prothèses" évoqués dans l’arrêté et, plus largement, des explantations. Le rapport propose à cet égard de mieux définir les responsabilités respectives des thanatopracteurs et des médecins (ce que ne fait pas l’article R. 2213-15 du CGCT), de permettre aux infirmiers d’effectuer cette opération sur délégation de médecins et en en tirant, bien sûr, les conséquences pour leurs rémunérations et conditions de travail, et de définir une rétribution propre à cette opération pour les médecins et les infirmiers (et pour les thanatopracteurs, au moins dans le cas où leur intervention deviendrait la norme, que cette opération soit incluse dans la thanatopraxie, ou qu’il s’agisse d’une opération spécifique).

R : La formation des futurs thanatopracteurs semble également faire partie des grands sujets qui étayent votre rapport, et plus particulièrement le temps de formation et l’expertise des formateurs. Quels dysfonctionnements avez-vous constatés et que préconisez-vous pour les corriger ?

J-PS : Je propose d’imposer comme prérequis à l’inscription en formation au diplôme national de thanatopracteur le suivi d’un stage d’observation de courte durée auprès d’un thanatopracteur diplômé. Il me paraît, en effet, très dommageable que des personnes puissent s’engager dans une formation qui peut être relativement coûteuse, sans avoir une connaissance précise d’un métier qui est délicat et requiert des qualités humaines et professionnelles spécifiques.

Je propose également de mettre en place une procédure de présélection des candidats commune à tous les organismes publics et privés qui proposent une formation au diplôme national de thanatopracteur, afin d’éviter des inégalités et disparités injustifiées. Je propose encore de revoir le contenu de la formation théorique et de mieux l’adapter aux besoins de la profession en renforçant très sensiblement les modules sur l’hygiène et la prévention des risques professionnels, la déontologie et la réglementation funéraire, sans que soit réduit pour autant le nombre d’heures consacrées à la médecine légale.

Je propose, en outre, que soient strictement définis - ce qui n’est pas le cas aujourd’hui et qui m’apparaît inacceptable - les titres et diplômes requis pour enseigner les matières du programme de la formation théorique au diplôme national de thanatopracteur. Je propose, enfin, de généraliser, pour la formation pratique en entreprise, la signature de conventions de stages tripartites entre l’organisme de formation, le stagiaire et l’organisme d’accueil.
S’agissant du nombre de thanatopracteurs, il m’apparaît nécessaire de relever le "numerus clausus" de 10 % à 15 % afin de diversifier l’offre de thanatopracteurs sur le territoire.
Pour ce qui est de l’attribution du diplôme national de thanatopracteur, je demande avec insistance que celle-ci soit confiée au ministère de l’Intérieur (avec l’appui des ministères de la Santé et du Travail).

En conséquence, je demande avec autant d’insistance que l’on substitue au Comité national d’évaluation de la formation pratique des thanatopracteurs (CNT) un dispositif à caractère public pour l’organisation de l’épreuve pratique de thanatopracteur. Je demande parallèlement que l’on confie au président du jury national l’élaboration, en toute indépendance, des sujets des épreuves théoriques. Je fais encore toute une série de préconisations pour garantir, en toutes circonstances, l’impartialité et l’indépendance des évaluateurs de la formation pratique.

R : Dans le même temps, la notion de sécurité est également très présente dans le texte. Port des EPI, conformité des laboratoires, condition de travail des thanatopracteurs… Quelles sont vos préconisations pour que chacun prenne sa part de responsabilité, et envisagez-vous la mise en place de contrôles inopinés, tant des praticiens que des installations dédiées à la pratique de la thanatopraxie ?

J-PS : Sur ces sujets aussi, éclairé par de très nombreuses auditions, je fais une série de propositions. Il s’agit, en particulier, d’imposer aux thanatopracteurs le respect des "précautions universelles standards" ; d’assurer le respect intégral de leurs obligations vaccinales ; d’adapter l’article R. 1335-2 du Code de la santé publique afin de préciser les obligations des thanatopracteurs en matière de Déchets d’Activités de Soins à Risques Infectieux (DASRI), ce qui n’est pas le cas actuellement.

S’agissant des conditions de travail des thanatopracteurs, je propose d’imposer l’installation systématique d’un système de captation de l’air à la source dans les chambres mortuaires et funéraires, avec évacuation de l’air pollué ; d’appliquer systématiquement les mesures existantes en matière de risques chimiques et infectieux ; de créer des modalités "ad hoc" de suivi médical pour les thanatopracteurs indépendants et de leur imposer une consultation médicale par an ; et enfin, de définir, parallèlement avec l’Inspection du travail, un plan de suivi médical des thanatopracteurs salariés.

Et pour répondre complètement à votre question, je précise que la mise en œuvre de contrôles inopinés - qui n’existent pratiquement pas aujourd’hui - est absolument nécessaire.

R : Enfin, vous évoquez la possibilité de confier la recherche d’un produit pouvant remplacer les formaldéhydes à des groupes de recherche financés par l’État. La thanatopraxie étant une activité dite "de niche" représentant moins de 3 000 professionnels, pensez-vous que ceci soit vraiment envisageable ?

J-PS : Compte tenu des risques induits par le formaldéhyde pour les professionnels, et plus généralement pour l’environnement, il n’est pas sûr que cette substance soit autorisée pour tous les usages lors de la prochaine évaluation prévue par la Commission européenne.
Les auditions auxquelles j’ai procédé montrent que le recours à ce produit entraîne des effets non négligeables sur la santé.

L’Anses (Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail) a été saisie d’une demande d’avis à ce sujet en 2014. J’ai pu avoir accès au pré-rapport établi par cet organisme qui fait part de doutes quant à l’usage des produits alternatifs existants, car ils "ne sont pas considérés comme ayant la même efficacité". C’est ce qu’ont confirmé un certain nombre des professionnels que j’ai auditionnés.

Cependant, les experts de l’Anses ont pu identifier "au total 29 mélanges susceptibles de constituer des alternatives potentielles" à l’utilisation du formaldéhyde en thanatopraxie.
Il me semble donc indispensable d’anticiper les évolutions à venir et une éventuelle interdiction en lançant un programme public de recherche pour le développement de produits de substitution.

À cet égard, je refuse les attitudes défaitistes. Compte tenu des risques que présente le formol pour la santé et l’environnement, il m’apparaît que, si l’on met en mouvement les ressources de la recherche publique - qui sont importantes ! - sur la base d’un programme clair et financé, il est permis de penser que des solutions seront trouvées. C’est, en ce domaine comme dans d’autres, une question de volonté - et de volonté politique.

Steve La Richarderie

Résonance numéro spécial - Août 2019

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