Feret Richard 2019Dans le cadre de son rapport annuel publié le 6 février 2019, la Cour des comptes s’est intéressée au secteur du funéraire, et ses analyses ont eu un certain écho médiatique.

 

CPFM 2016Une lecture attentive du rapport montre que :

- le rapport de la Cour contient des éléments positifs pour les pompes funèbres privées, qui n’ont pas été repris par les journalistes ;
- une partie des critiques formulées par la Cour est infondée ;
- certaines préconisations du rapport reprennent celles que la CPFM développe auprès des pouvoirs publics depuis plusieurs mois.

La CPFM (Confédération des Professionnels du Funéraire et de la Marbrerie), qui regroupe le plus grand nombre de sociétés privées du secteur, regrette qu’à sa connaissance la Cour n’ait que très marginalement associé les représentants du secteur privé à son travail (invitation du délégué de la CPFM à une seule réunion où il était entouré de représentants du secteur public et parapublic) et n’ait pas pris la peine de les interroger pour recueillir leurs observations sur ses conclusions, qui les concernent pourtant directement. La CPFM souhaite donc apporter les précisions suivantes.

1 - Des éléments positifs pour les pompes funèbres

Les médias ont principalement retenu la "hausse des prix", le "manque de transparence du secteur" et la "concentration", pointés par la Cour, alors qu’une lecture attentive du rapport conduit à tempérer nettement cette analyse.

- Les obsèques coûtent bien moins cher en France qu’ailleurs en Europe

Les prix des obsèques en France sont pointés du doigt, alors que la comparaison avec les tarifs pratiqués chez nos voisins européens montre que ceux des opérateurs funéraires français sont en réalité très raisonnables(1) : en France, le coût moyen des obsèques est estimé à 3 350 €, contre 4 000 € en Italie et 4 337 € au Royaume-Uni ; sachant que ce pays n’applique pas de TVA sur les obsèques, l’écart étant donc à majorer de presque 20 %.

- L’offre des opérateurs funéraires français s’est considérablement diversifiée depuis 1993

La Cour relève l’effet positif de la libéralisation du secteur en évoquant l’élargissement de l’offre de services, qui traduit avant tout une meilleure prise en compte des besoins spécifiques de chaque famille :

- les opérateurs ont développé, à leurs frais, l’offre d’accueil en chambre funéraire pour permettre le recueillement auprès du défunt : 3 000 sites étaient recensés en 2016, contre seulement 300 en 1993 ;
- le niveau d’équipement du territoire en crématoriums a rapidement progressé, grâce aux investissements importants des entreprises du funéraire : près de 200 en 2016, contre une cinquantaine en 1993 ;
- le secteur a su mettre les avancées technologiques au service de l’amélioration des obsèques : condoléances en ligne, comparateurs de devis d’obsèques, retransmissions des cérémonies, création de mémoriaux virtuels, etc.

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- Les opérateurs funéraires publics bénéficient d’un avantage concurrentiel : la comparaison de prix entre public et privé a donc peu de sens

Selon la Cour, les comptes des entreprises publiques du funéraire présentent parfois des irrégularités : "Le coût des prestations de ces opérateurs peut être sous-évalué, […] dans certains cas la collectivité a institué un seul budget annexe tandis que plusieurs services coexistent. Dans ces conditions, il ne peut être exclu que les activités relevant du champ monopolistique du crématorium contribuent à l’équilibre financier du SEPF(2) et lui procurent ainsi un avantage injustifié au regard du droit de la concurrence. Dans d’autres situations, le budget principal de la collectivité supporte indûment des dépenses engagées dans le cadre des services funéraires, notamment les charges de personnel."

Cette nuance, introduite par la Cour, a été peu commentée dans la comparaison des prix moyens des opérateurs publics et privés d’obsèques : en bénéficiant de la possibilité d’équilibrer leurs comptes avec les rentes de leur monopole sur les crématoriums et en payant parfois leurs personnels avec le budget de la collectivité, certains opérateurs publics peuvent en effet afficher des prix moins élevés.

Par ailleurs, cette comparaison ne tient pas compte de la diversité des prestations proposées par les opérateurs, également relevée par la Cour : l’élargissement de la gamme de services et de produits depuis 1993 tire naturellement le devis moyen vers le haut. À cela s’ajoutent les prestations que les opérateurs avancent pour le compte de tiers et qui figurent sur la facture d’obsèques : fleurs, annonces dans les journaux, culte, repas, cocktail…

Enfin, de nombreux opérateurs publics ne dégagent pas, ou peu, de bénéfice sur leur activité de services funéraires (hors crématoriums), voire génèrent des pertes, ce qui ne permet pas la rentabilisation – même minimale – des capitaux publics investis. Il en résulte donc, à terme, une dépréciation des fonds publics et une distorsion de concurrence d’autant plus forte que d’autres distorsions et violations de la loi existent sur lesquelles la Cour des comptes devrait se pencher : installations de services funéraires municipaux dans l’enceinte même de la mairie, vente commerciale dans les crématoriums, orientation des familles vers les services municipaux par les hôpitaux, investissements dans des établissements disproportionnés, etc.

2 - Certaines critiques ou recommandations de la Cour sont infondées

- Non, le secteur ne se caractérise pas par une concentration depuis 1993 ; bien au contraire, la concurrence y est particulièrement forte

En économie, le terme "concentration" désigne le processus de diminution du nombre d’entreprises pour un marché donné, qui peut engendrer la création d’un monopole. Or, au contraire, le secteur du funéraire se caractérise dans son ensemble par une augmentation de la concurrence depuis 1993 :
- le secteur du funéraire comptait 3 569 entreprises(3) en 2015, contre 2 110(4) en 1999, soit une hausse de 69 % du nombre d’entreprises en moins de 20 ans ;
- la part de marché du leader OGF a été réduite de 50 % depuis 1993.

Aussi, si une consolidation récente a été observée sur le marché du funéraire avec des rachats et des constitutions de réseaux, il n’y a pas dans l’ensemble de concentration depuis 1993.

Le secteur funéraire reste d’ailleurs un des secteurs français les plus atomisés : ses deux principaux acteurs ne représentent que 25 % du marché (30 % en agrégeant les sociétés indépendantes franchisées), ses dix acteurs suivants représentent ensemble moins de 5 % du marché, et les 3 500 acteurs restants représentent unitairement moins de 0,03 % du marché. Les groupements et autres réseaux du secteur n’étant constitués que de sociétés totalement autonomes n’agissant pas de concert dans le marché.

- Les hausses de prix sont largement expliquées par l’accroissement des salaires, des charges fiscales et sociales et des contraintes administratives

La Cour affirme que les tarifs des pompes funèbres ont augmenté deux fois plus vite que l’inflation depuis 1993. En réalité, près de la moitié des coûts des opérateurs funéraires (hors taxes et prestations de tiers) est liée aux salaires et aux cotisations sociales, qui ont augmenté beaucoup plus vite que l’inflation depuis 1990.

Rappelons donc les faits suivants :

- le salaire brut moyen des employés du secteur funéraire a progressé de 76 % entre 1995 et 2018, soit près de deux fois l’inflation observée sur la même période, qui a été de 41 %(5). Une partie de cette hausse s’explique par l’augmentation des charges salariales et le passage aux 35 heures ;
- le montant total des cotisations sociales en France a augmenté de 165 % entre 1990 et 2017 (soit trois fois l’inflation observée sur la même période, de 55 %).
À tout cela s’ajoutent de nouvelles contraintes administratives, chronophages et coûteuses pour les entreprises, apparues depuis 1993 (contrôle des véhicules tous les trois ans, alourdissement des obligations administratives liées aux habilitations, contrôle des chambres funéraires…) ainsi que les taxes spécifiques au secteur (taxe d’inhumation, taxe de superposition…).

Enfin, rappelons qu’un taux de TVA à 20 % s’applique sur l’ensemble de la facture d’obsèques, à l’exclusion du transport du corps (soumis à un taux réduit de 10 %) : en 1993, ces taux étaient respectivement de 18,6 % et de 5,5 %.

Dans ces conditions, les entreprises du funéraire, pour l’essentiel des TPE et PME, ne font que répercuter sur leurs prix des contraintes qu’elles subissent dans un cadre concurrentiel. Une lecture attentive du rapport permet par ailleurs de relever que la rentabilité des opérateurs funéraires est relativement faible, à 4 % du chiffre d’affaires, et qu’elle est la même pour le public et le privé : si les hausses de prix n’étaient pas dues à une hausse des coûts, la rentabilité serait plus élevée.

Ainsi, pour faire baisser les prix des obsèques, les pouvoirs publics pourraient dans un premier temps "détaxer la mort" en appliquant un taux de TVA réduit ou nul sur l’ensemble de la facture d’obsèques, comme c’est le cas chez nombre de nos voisins(6). À moyen terme, la réduction durable des prix payés par les familles ne sera possible que si le poids des charges, impôts et contraintes administratives pesant sur les entreprises diminue sensiblement.

Notons d’ailleurs que, si la Cour appelle à plus de transparence sur les prix, c’est bien à un opérateur public (les Services Funéraires de la Ville de Paris) qu’elle reproche d’avoir développé une publicité trompeuse sur des prix de vente affichés qui ont systématiquement donné lieu à des tarifications finales 2 à 6,5 fois supérieures au prix publicitaire annoncé…

Il est également évident que les nombreux manquements que relève la Cour chez les opérateurs publics (problèmes de gouvernance, défaut de contrôle de gestion, distorsion de concurrence, etc.) leur permettent d’alléger leur structure de coût et de pratiquer des prix "subventionnés".

- Le cadre législatif et réglementaire du secteur du funéraire est lourd et complexe : il est par conséquent inégalement appliqué, et sa mise en œuvre est difficilement contrôlée

La Cour des comptes propose un renforcement de la législation du funéraire. Or, les entreprises comme les services de l’État se trouvent parfois démunis face à des obligations légales toujours plus nombreuses, difficiles à appliquer pour les uns, et à contrôler pour les autres.

Un nouveau renforcement des contraintes administratives et du cadre légal pèsera tant sur les entreprises que sur les administrations, et insécurisera tous les acteurs, sans présenter de réelle valeur ajoutée. Certaines propositions de la Cour visant à renforcer la législation encadrant les opérateurs funéraires présentent en outre une efficacité très limitée :

La Cour propose par exemple de conditionner le renouvellement des habilitations à la remise par les opérateurs de devis types en mairie, alors même que les familles ne se renseignent pas de cette façon, mais sur Internet ou par téléphone. La ville de Paris devrait, par exemple, à elle seule recevoir et présenter 960 devis types(7) : qui les consultera ?
Ailleurs qu’à Paris, cela supposerait pour les entreprises de déposer leurs devis types dans toutes les mairies des villes de plus de 5 000 habitants de leur département, même si elles n’y ont pas d’agence…

La proposition d’une révision de l’arrêté de 2010, pour prévoir deux ou trois devis types correspondant à des niveaux de prestations différents, sur la base de critères précis, pose également problème. Les prestations varient en fonction des demandes particulières des familles : Qu’est-ce qu’une prestation type de transport du corps et son prix ? Le transport doit-il se faire à travers une commune ou sur plusieurs départements ? L’entreprise doit elle prévoir un seul véhicule pour le cercueil, ou également un véhicule d’accompagnement pour la famille du défunt ?

Cette vision administrative de la réalité se traduit également dans la proposition de la Cour de conditionner le renouvellement des habilitations au passage d’un contrôle de qualité des prestations sur la base de critères définis par le Conseil National des Opérations Funéraires (CNOF) : les juges de la qualité des entreprises sont leurs clients, et les entreprises du funéraire mènent régulièrement des enquêtes montrant que leur satisfaction est particulièrement élevée. Le principe de liberté d’entreprise veut que ce ne soit pas le rôle des autorités de s’immiscer dans les relations normales entre les entreprises et leurs clients.

La CPFM est ainsi favorable à une meilleure application du droit existant et à une meilleure information des familles, mais pas à un durcissement de la législation. À titre d’exemple, la CPFM relève que, si les entreprises structurées et professionnelles font l’objet de nombreux contrôles, l’expérience démontre que les quelques acteurs marginaux qui ne répondent à aucun critère minimal de qualité, ou même de respect de la réglementation, se voient pourtant attribuer ou renouveler leurs habilitations et ne subissent pratiquement jamais de contrôle des autorités compétentes.

En matière de respect de la législation existante, la Cour pourrait, en outre, utilement étendre ses investigations à la question des appels d’offres de crématoriums ou de SEPF(8) auxquels participent des sociétés d’économie mixte (SEM) détenues majoritairement par l’autorité délégante. Il est en effet particulièrement frappant de constater que toutes les SEM funéraires ayant concouru à de tels appels d’offres depuis qu’ils existent ont, à notre connaissance, toujours été déclarées gagnantes face à des acteurs privés qui, pourtant, représentent 95 % du marché… À tel point que ces derniers renoncent la plupart du temps à concourir. Cela crée une forte distorsion de concurrence, et prive la collectivité des usagers du meilleur niveau d’infrastructure, de services et de redevance financière qu’un système réellement concurrentiel permettrait immanquablement d’apporter.

3 - D’autres recommandations de la Cour correspondent en revanche aux propositions que la CPFM défend auprès des pouvoirs publics depuis des mois

Si le cadre législatif et réglementaire actuel ne doit pas être alourdi, il gagnerait à l’inverse à être simplifié, assoupli et modernisé. La CPFM a formulé à cet effet il y a un an des propositions à l’intention des pouvoirs publics, et relève avec satisfaction que son constat est partagé par la Cour des comptes sur certains points :

grâce à un appui des pouvoirs publics, qui mettraient à disposition des opérateurs des données nationales fiables ;
la meilleure information des familles qui souscrivent des contrats obsèques ;
la dématérialisation du dépôt de la demande d’habilitation des opérateurs funéraires, sur la base d’un dossier uniforme sur le territoire national, et l’autorisation pour les opérateurs d’effectuer des modifications en ligne.

4 - Conclusion

En conclusion, la CPFM tient à rappeler que, si le secteur funéraire reste un secteur méconnu et souvent l’objet de préjugés, son utilité sociale et sociétale compte parmi les plus fortes de tous les secteurs économiques français, et ses salariés font preuve d’un engagement exceptionnel au service des familles en deuil.

Le taux moyen de satisfaction des familles – tous types d’entreprises confondus (privés et publics) –, supérieur à 90 % quelles que soient les études menées, le montre. Une étude du magazine Capital (novembre 2018), auprès de 20 000 personnes, classe d’ailleurs trois sociétés funéraires parmi les quatre sociétés de services les mieux notées par les Français sur un total de 39 lauréates et de 13 500 sociétés de ce type en France.

Richard Feret
Directeur général délégué de la CPFM

Nota :
(1) Cour des comptes, rapport public annuel 2019, p. 201, LIEN.
(2) Service Extérieur des Pompes Funèbres.
(3) Cour des comptes, rapport public annuel 2019, p. 201, LIEN.
(4) Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie (CRÉDOC), données de l’INSEE dans L’économie de la filière du funéraire, 1999, p. 15, LIEN.
(5) Données : INSEE et Convention collective nationale des pompes funèbres du 1er mars 1974. Étendue par arrêté du 17 décembre 1993 JORF 28 janvier 1994. - Textes Salaires.
(6) Le Danemark, le Royaume-Uni, la Norvège, la Finlande, les Pays-Bas n’appliquent pas de TVA sur les obsèques.
(7) Réponse de la Mairie de Paris au rapport public annuel 2019 de la Cour des comptes, p. 236, LIEN.
(8) Service Extérieur des Pompes Funèbres.

Résonance n°148 - Mars 2019

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