Le service est qualifié d’ "extérieur" pour le distinguer du service "intérieur". Quelques rappels historiques s’imposent…

 

Le droit en général – et le droit public en particulier – encadre de façon précise et directive le devenir du corps, du décès de l’individu jusqu’à l’inhumation et la crémation de sa dépouille mortelle. À l’occasion de toutes les "étapes" qui se succèdent depuis le "dernier souffle" jusqu’au "dernier sommeil", l’intervention des pouvoirs publics est omniprésente et se caractérise notamment par la délivrance de multiples autorisations, indispensables au bon déroulement des obsèques (voir par exemple J.-F. Auby, "Les obsèques en France" : coll. "Que-sais-je ?" no 3182, PUF, 1997). Pourtant, les funérailles sont avant tout l’affaire des familles respectueuses de la volonté du défunt et de la nécessité de lui rendre un dernier hommage. Cependant, le caractère éminemment "social" du décès a toujours impliqué une régulation au nom de l’ordre public.

 

"À aucune époque, dans aucun pays, ce qui a trait au respect dû aux morts, aux sépultures, aux mesures d’hygiène qu’il convient de prendre après le décès d’un individu, n’a pu rester indifférent à l’autorité religieuse ou civile entre les mains de laquelle se trouvait placée la garde des grands intérêts sociaux", selon le "Traité de la législation relative aux cadavres" d’Auguste Chareyre (Larose et Forcel 1884, p. 1).

 

Bien que les funérailles aient sociologiquement évolué, il incombe toujours au "pouvoir social" d’assurer l’encadrement normatif du décès et de ses conséquences. S’il est aisément compréhensible que le droit ne peut se désintéresser de la mort (voir par exemple B. Py, "La mort et le droit" : coll. "Que-sais-je ?" no 3339, PUF, 1997) et de l’ensemble de ses conséquences (au premier rang desquelles se trouve le "passage" du statut de personne à celui d’objet), la particularité de l’intervention du droit public est qu’elle dépasse largement l’édiction de normes pour "s’investir" directement par le biais, principalement, du service public.

 

Le décès tout d’abord, qui intervient le plus souvent à l’hôpital (voir notamment M. Dupont et A. Macrez [ss dir.], "Le décès à l’hôpital – Règles et recommandations à l’usage des personnels" : Presses de l’EHESP, 4e éd. 2012, 480 p.), doit être déclaré à l’état civil. Ensuite, des funérailles (service extérieur des pompes funèbres) et jusqu’à la "sépulture" (crématorium ou cimetière), se rencontrent trois services publics communaux (M.-Th. Viel, "Droit funéraire et gestion des cimetières" : coll. "Administration locale", 2e éd., 1999, p. 14).

 

Ceci étant précisé, au regard de la question posée, il est nécessaire de rappeler que les expressions "service extérieur" et "service intérieur" se réfèrent à l’organisation des fabriques qui détenaient, avant la loi de 1904, le monopole des pompes funèbres. Il y avait une fabrique intérieure dont les compétences ne dépassaient pas les limites de l’église et de la maison mortuaire, et une autre, extérieure, pour les endroits publics (A. Roland, "Le régime des pompes funèbres en France d’après la loi et la jurisprudence" : thèse Paris, 1914, p. 29). Une approche historique s’impose donc au préalable pour une parfaite compréhension des particularités des pompes funèbres en la matière.


A - Histoire de la laïcité des pompes funèbres

 

Comme le remarquait déjà Auguste Chareyre ("Traité de la législation relative aux cadavres", précité p. 3) au XIXe siècle :
"À l’origine des sociétés, tout ce qui touche aux cérémonies mortuaires, aux sépultures, au culte des morts était du domaine exclusif de la religion confondue avec l’État. Et il faut convenir […] que, par la force et la nature de l’autorité dont elle dispose, la religion est plus à même que le pouvoir civil d’imposer aux mœurs et à la liberté des citoyens, avec moins de peine et des froissements moindres, certaines contraintes que commande avant tout la préoccupation de la salubrité publique."

 

De ce constat se traduit le double combat du pouvoir civil contre l’autorité religieuse, qui explique aujourd’hui la place du droit public et des personnes publiques dans la régulation des obsèques.

 

C’est tout d’abord devant l’impuissance ou l’incurie de l’autorité religieuse à véritablement traiter les problèmes d’hygiène que pose le corps mort (inhumé à l’intérieur et aux abords des églises) que se sont naturellement justifiées les premières interventions du pouvoir civil dans cette matière traditionnellement aux mains de l’autorité religieuse (voir notamment M. Mélin, "La police des cimetières" : Thèse, Université de Paris, 1969, p. 4-20 ; J.-P. Tricon et A. Autran, "La commune, l’aménagement et la gestion des cimetières" : Berger-Levrault, 1979, p. 13-16).

 

De ce premier combat pour la protection de l’hygiène publique résulte la sécularisation des cimetières intervenue en 1804 (voir le texte du décret du 23 prairial an XII). Un siècle plus tard, il s’agira de la sécularisation du service extérieur des pompes funèbres qui, quant à elle, résulte du second combat, celui de la laïcité.

 

1 - Le décret du 23 prairial an XII

 

Des interventions du Parlement de Paris (12 mars 1763 et 21 mai 1765), de Toulouse (3 septembre 1774) à celle de la déclaration royale du 10 mars 1776, la motivation du pouvoir civil est avant tout de régler des questions de salubrité (P. Ariès, "L’homme devant la mort" : Seuil, 1977, p. 472-513 ; J. Aubert [dir.], "Pour une actualisation de la législation funéraire", La Documentation Française, 1981, p. 181-194).

Il en sera ainsi du décret du 23 prairial an XII (12 juin 1804), qui constitue encore le fondement des grands principes de la législation applicable au cimetière, puisque les règles aujourd’hui codifiées dans le Code Général des Collectivités Territoriales (CGCT) n’ont été finalement que peu modifiées.

 

"Le décret [du 23 prairial an XII] est le résultat d’un long débat sur la sépulture : acte religieux dépendant principalement de l’autorité ecclésiastique, puis opération relevant de la santé publique et de la police communale. Il prononce une rupture fondamentale entre le monde des vivants et celui des morts par l’éloignement des sépultures. Le processus de la désocialisation de la mort, lentement amorcée tout au long du XVIIIe siècle, est maintenant en place", selon Bernard Toulier (Le décret du 23 prairial an XII : Formation et naissance d’une nouvelle réglementation sur l’inhumation et la sépulture : reproduit dans le rapport Aubert, Pour une actualisation de la législation funéraire, précité, p. 162).

 

Cependant, si l’État est compétent en matière de cimetière, l’Église conserve les funérailles dont elle reçoit le monopole (voir l’art. 22 du décret du 23 prairial an XII). Il est possible de noter d’ailleurs que les fabriques se trouvaient chargées de l’entretien des cimetières (art. 37 du décret du 30 décembre 1809 ; voir sur ce point G. Chaillot, "Le droit funéraire français" : édition Pro Roc 1997, tome 2, p. 43-46).

 

2 - La loi du 28 décembre 1904

 

Le deuxième combat, qui vise directement la laïcité républicaine, viendra s’achever par l’affirmation d’un monopole communal pour le service public des pompes funèbres (loi du 28 décembre 1904), après avoir proclamé la liberté des funérailles dans cette grande loi, toujours applicable, du 15 novembre 1887 (P. Belhassen, "La crémation : le cadavre et la loi", LGDJ, 1997, p. 59-61). La genèse de la loi du 15 novembre 1887, consacrant la liberté des funérailles, s’inscrit en effet dans le contexte général du combat de la laïcité républicaine (M. Planiol, "Traité élémentaire de droit civil" : Tome troisième, 8e édition, LGDJ, 1921 p. 339).

 

 

La victoire de la laïcité républicaine connaîtra des excès inverses de ceux ayant amené le législateur à proclamer la liberté des funérailles (en réaction à des pratiques discriminatoires à l’endroit des libres-penseurs), les maires interdisant au début du XXe siècle aux prêtres de participer aux convois en habits sacerdotaux au nom de l’ordre public. Le Conseil d’État, contrairement à la Cour de cassation, sanctionnera rapidement de telles pratiques limitant les interventions du maire à ses compétences propres, l’ordre public (voir notamment à propos de l’arrêt du Conseil d’État du 19 février 1909, Abbé Olivier, P.-A. Lecocq, "Les grands arrêts contradictoires" : Ellipses, Le droit en questions, 1997, p. 52-64).

 

Il conviendra de retenir que la régulation par les pouvoirs publics s’articule donc historiquement sur les notions d’ordre public (qui inclut la salubrité publique mais également la tranquillité publique) et de neutralité. Ces éléments vont justifier l’existence d’un monopole pour l’organisation de ces deux services publics que constitue la gestion du cimetière et du service extérieur des pompes funèbres.

 

Alors que la question de la laïcité était au cœur du service public des pompes funèbres, il convient d’observer que c’est principalement concernant les cimetières qu’aujourd’hui s’engagent les débats, alors que la sécularisation de ceux-ci n’était motivée que par un souci d’hygiène.

 

Concernant la disparition du monopole des fabriques et des consistoires et son remplacement par un monopole communal, il importe de relever que ce dernier monopole – qui va disparaître avec l’adoption de la loi no 93-23 du 8 janvier 1993 dite "loi Sueur" – n’était pas à l’abri de la critique. En effet, le "rapport Aubert" en 1980 semblait préconiser une meilleure prise en compte de la liberté des familles. En effet, il était indiqué (à une époque, il est vrai, où existait toujours le monopole communal en matière de pompes funèbres) que :
"C’est la puissance publique qui, pour des raisons hautement légitimes, assure l’organisation sociale de la mort. Mais la mort demeure malgré tout et d’abord un événement intime, en face duquel il convient que la famille dispose de la plus grande liberté. Cette liberté familiale s’étend à la liberté des associations à but non lucratif, qu’elles soient religieuses ou laïques. Les événements historiques qui ont fondé pour une large part les textes de 1804 et 1904 n’ont plus le même écho aujourd’hui."

 

B - Laïcité et service intérieur des pompes funèbres

 

Comme il a été indiqué, la loi du 28 décembre 1904 a imposé aux fabriques et aux consistoires l’obligation d’assurer gratuitement le service religieux des indigents. La loi de 1905 portant séparation de l’Église et de l’État avait supprimé ces institutions. Comme l’a rappelé le rapport Aubert (J. Aubert [dir.], "Pour une actualisation de la législation funéraire" : La Documentation Française, 1981, p. 66), les catholiques refusèrent alors de constituer les associations diocésaines appelées à prendre le relais des fabriques. Des solutions de fait furent trouvées jusqu’à ce que l’Église catholique accepte de constituer ces associations à partir de 1923. Les termes "fabriques" et "consistoires", employés à l’art. L. 2223-29 du CGCT, ne sont donc plus appropriés depuis la loi de séparation des Églises et de l’État du 9 décembre 1905, qui a autorisé la formation d’associations cultuelles. Elles n’existent qu’en Alsace-Moselle, où le système concordataire subsiste.

 

Comme le rappelle M. Gilles Toulemonde ("Le régime juridique des pompes funèbres" : mémoire de DEA en droit public, Université de Lille II, 1993) :
"Il faut donc aujourd’hui parler d’associations diocésaines pour les catholiques et d’associations cultuelles pour les protestants et israélites" (et l’auteur ajoute que les protestants et israélites s’organisèrent rapidement en associations cultuelles, tandis qu’il fallut attendre 1923 pour que les catholiques acceptent de fonder des associations diocésaines ; voir également S. Rials, "La difficile réforme du service et des pompes funèbres" : Revue administrative, 1980, p. 348).

 

Du point de vue de la laïcité, il convient d’observer qu’ici c’est justement le caractère religieux du service intérieur des pompes funèbres qui justifie un monopole accordé aux Églises.

 

Le service intérieur comprend l’organisation des funérailles dans les établissements de culte. Il est organisé sous la responsabilité des associations diocésaines, qui établissent librement le tarif de leurs fournitures et règlent elles-mêmes l’ordonnance des cérémonies, dont l’autorité civile n’a pas à connaître. Dans quelques rares cas, la décoration intérieure et extérieure des églises a été concédée à une société spécialisée.

 

Il est possible de rappeler avec Mme Marie-Thérèse Viel ("Droit funéraire et gestion des cimetières : Administration locale", 2e éd. Berger-Levrault, 1999 p. 14) que :
"La dénomination de "service extérieur" résulte de l’existence d’un "service intérieur" réservé aux établissements cultuels (art. L. 2223-29). Le droit accordé aux divers cultes est d’ordre laïc puisqu’il porte sur les objets destinés à accroître la pompe des cérémonies funèbres dans les édifices religieux, tels que les fleurs ou les tables de signature. Dans les faits, les associations, catholiques et protestantes tout au moins, n’exercent plus ce monopole qui se confond alors avec le service libre."

 

Enfin, le service attribué aux fabriques est gratuit pour les indigents selon l’art. L. 2223-29 du CGCT. Il y a lieu d’observer que la notion d’indigent était explicitée par une circulaire du ministère de la Santé publique du 31 janvier 1962 concernant le service extérieur des pompes funèbres. Or, concernant ce service, la notion d’indigent a été abrogée et est désormais remplacée par le terme de "personne dépourvue de ressources suffisantes". Il conviendra donc que, pour le service intérieur des pompes funèbres, ses responsables interrogent les services municipaux et alignent leur position sur celle du service extérieur des pompes funèbres (voir : G. d’Abbadie, "L’inhumation des personnes dépourvues de ressources suffisantes", dans G. d’Abbadie et G. Defarge [dir.], "Opérations funéraires – Une nouvelle donne pour les communes", Imprimerie nationale, 1998, p. 162-163).

 

Damien Dutrieux,
consultant au CRIDON Nord-Est, maître de conférences associé à l’Université de Lille 2.

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