Bien souvent, la pratique précède le droit, et des interrogations se font jour quant à la conformité de l’utilisation de certains dispositifs, qui pour pratiques qu’ils soient n’en sont pas moins ignorés par le droit. Il en va ainsi par exemple des "sacs" utilisés lors des exhumations administratives. Nous ne méjugeons pas du caractère pratique, voire moins onéreux, de ces outils, nous n’ignorons pas que la différence d’un strict point de vue utilitaire est des plus insignifiantes, néanmoins, le droit étant ce qu’il est, c’est-à-dire une entreprise de qualification des choses, des personnes et des situations, nous tenterons ici de répondre juridiquement à cette question superficielle d’apparence, mais peut-être moins sur le fond : peut-on se servir de sacs lors des exhumations ?

Dupuis Philippe 2015 fmt
Philippe Dupuis, consultant
au Cridon, chargé de cours
à l’université de Valenciennes,
formateur en droit funéraire
pour les fonctionnaires
territoriaux au sein
des délégations du CNFPT.

 

 

Exhumation et restes mortels

C’est à cette lancinante question que nous allons tenter de répondre ici d’un strict point de vue juridique. En effet, l’exhumation à la demande des familles est prévue par l’art. R. 22213-40 du Code Général des Collectivités Territoriales (CGCT), tandis que l’art. R. 2213-42 vient à fixer les modalités de cette exhumation en venant préciser en son quatrième alinéa que : "Lorsque le cercueil est trouvé détérioré, le corps est placé dans un autre cercueil ou dans une boîte à ossements."
En ce qui concerne les exhumations administratives, l’art. R. 2223-20 CGCT, qui vient régir les conditions d’une exhumation survenant dans le cadre de la procédure des reprises en état d’abandon, nous dit en son dernier alinéa qu’une fois les restes exhumés, ils doivent être "réunis dans un cercueil de dimensions appropriées".
Il est alors notable de relever qu’aucune disposition analogue n’existe pour les concessions échues, mais que néanmoins, dans une réponse ministérielle ancienne, le Gouvernement a estimé qu’il en allait de même pour ce type d’exhumation et qu’il était donc obligatoire d’utiliser un cercueil (Rép. min. n° 33616 : JOAN Q 8 nov. 1999, p. 6469) : "Compte tenu des termes utilisés par l’art. L. 2223-18 du CGCT pour habiliter le pouvoir réglementaire à préciser les règles en matière d’exhumation administrative et de l’absence de restrictions particulières dans la rédaction des articles R. 361-28 à R. 361-31 du Code des communes, ces derniers articles s’appliquent à la reprise de concessions funéraires soit non renouvelées, soit en état d’abandon. Les restes d’une concession non renouvelée sont donc réunis dans un cercueil de dimensions appropriées en vue soit de leur réinhumation immédiate dans l’ossuaire spécial soit de leur crémation suivie de la dispersion des cendres dans le lieu spécialement destiné à cet effet, conformément aux articles L. 2223-4 du CGCT et R. 361-30 du Code des communes. Les noms des personnes qui étaient inhumées dans la concession reprise sont consignés dans un registre tenu à la disposition du public. Ils peuvent être également rappelés dans le jardin du souvenir ou au-dessus de l’ossuaire par gravure sur un matériau durable. A priori, si une telle extension est possible, nous serions tentés de l’extrapoler même aux exhumations de corps provenant des terrains communs.

Le cercueil et la boîte à ossements : identité ou diversité de dispositif

L’art. R. 2223-20 applicable aux exhumations administratives rend ainsi obligatoire le cercueil "de dimensions appropriées" ; l’emploi de ce terme signifie sans nul doute "approprié aux restes présents dans la concession". Il est alors tentant de voir dans la boîte à ossements évoquée par l’art. R. 2213-42 ce cercueil de dimensions appropriées, étant entendu que tout dépendra des restes trouvés et qu’il nous semble possible d’utiliser un seul cercueil pour des restes de plusieurs dépouilles, le Code n’interdisant explicitement pas cette possibilité, puisque est employée l’expression "les restes". L’art. L. 2223-4 mentionne le terme "restes", dont juridiquement il n’existe aucune définition.
Lexicologiquement, ce terme accolé à "mortel" renvoie à la dépouille mortelle de l’homme (Littré) ou bien au cadavre, aux ossements (Larousse). De nombreuses communes sont gênées par l’emploi de ce vocable et refusent ainsi l’inhumation de corps insuffisamment décomposés. L’on pourrait objecter que c’est bien le terme "le corps" qui est employé à l’art. R. 2213-42, mais il n’y a rien que de très normal à cela puisque, placée sous le régime de l’exhumation à la demande des familles, l’exhumation n’est demandée a priori que pour un seul corps.
Cette position est partagée par la doctrine la plus autorisée (D. Dutrieux, "Reprise de concessions funéraires : les communes doivent-elles utiliser un reliquaire ?" : AJCT 2011, p. 173). Or, si nous ignorons quelle pourrait être la définition d’une "boîte à ossements", nous connaissons parfaitement celle du cercueil. En effet, l’art. R. 2213-25 CGCT dispose que : "Sauf dans les cas prévus à l’art. R. 2213-26, le corps est placé dans un cercueil en bois d’au moins 22 millimètres d’épaisseur avec une garniture étanche fabriquée dans un matériau biodégradable agréé par le ministre de la Santé après avis de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail.
Toutefois, un cercueil d’une épaisseur minimale de 18 millimètres après finition, avec garniture étanche fabriquée dans un matériau biodégradable agréé dans les mêmes conditions, est autorisé soit si la durée du transport du corps est inférieure à deux heures, ou à quatre heures lorsque le corps a subi des soins de conservation, soit en cas de crémation. Les garnitures et accessoires posés à l’intérieur ou à l’extérieur des cercueils destinés à la crémation sont composés exclusivement de matériaux combustibles ou sublimables et il ne peut y être fait usage d’un mélange désinfectant comportant de la poudre de tan ou du charbon pulvérisé. Les cercueils peuvent également être fabriqués dans un matériau ayant fait l’objet d’un agrément par le ministre chargé de la Santé, après avis de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail."

Un sac n’est pas un cercueil

Ainsi, il nous semble que la "boîte à ossements" doit obéir aux règles techniques posées par cet article, et qu’indubitablement un sac ne saurait par exemple constituer un cercueil ou une boîte à ossements utilisés lors des exhumations administratives ; ajoutons que désormais l’art. R. 2213-20 CGCT dipose que : "Le couvercle du cercueil est muni d’une plaque gravée indiquant l’année de décès et, s’ils sont connus, l’année de naissance, le prénom, le nom patronymique et, s’il y a lieu, le nom marital du défunt." Ainsi, si la boîte à ossements est en droit un cercueil (à défaut du fait) , elle devrait satisfaire à cette obligation d’indentification.

Une reprise respectueuse

À l’aune de ces remarques, il est enfin loisible de rappeler que l’art. L. 16-1-1 du Code civil nous enseigne que : "Le respect dû au corps humain ne cesse pas avec la mort. Les restes des personnes décédées, y compris les cendres de celles dont le corps a donné lieu à crémation, doivent être traités avec respect, dignité et décence." Tandis que l’art. 225-17 du Code pénal dispose que : "Toute atteinte à l’intégrité du cadavre, par quelque moyen que ce soit, est punie d’un an d’emprisonnement et de 15 000 € d’amende.
La violation ou la profanation, par quelque moyen que ce soit, de tombeaux, de sépultures, d’urnes cinéraires ou de monuments édifiés à la mémoire des morts est punie d’un an d’emprisonnement et de 15 000 € d’amende.
La peine est portée à deux ans d’emprisonnement et à 30 000 € d’amende lorsque les infractions définies à l’alinéa précédent ont été accompagnées d’atteinte à l’intégrité du cadavre."
Ainsi, il nous apparaît qu’une telle responsabilité pénale, mais a fortiori plus encore civile, pourrait être encourue en cas de recours lors des exhumations administratives à des dispositifs qui, juridiquement, ne pourraient être qualifiés de "cercueil de dimensions appropriées", puisque, faut-il le rappeler, le juge qualifie de cadavre des restes mortels pourtant vieux de plusieurs dizaines d’années (Crim., 25 oct. 2000, n° 00-82.152, D. 2001. 1052, note T. Garé ; Coll. terr. 2001, comm. N° 139, note D. Dutrieux).

Cet article a été rédigé à la suite d’une question posée par une lectrice de Résonance
Je vous serais très reconnaissante de bien vouloir m’aiguiller sur le point suivant :
Dans le cadre de reprises administratives (pour concessions non renouvelées), nous nous posons la question des reliquaires : bois ou housse plastique ? Y a-t-il un texte qui impose aux communes les reliquaires en bois ?

 

Philippe Dupuis

Résonance n°125 - Novembre 2016

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