Une récente réponse ministérielle vient d’être faite au sénateur Sueur relativement à l’opération réduction de corps ; le sénateur s’interroge, à notre sens, légitimement, sur le bien-fondé de l’assimilation par le juge judiciaire de cette opération à une exhumation. La réponse du gouvernement est des plus univoques, il lui semble qu’il est préférable de confondre ces deux opérations.

 

Dupuis Philippe 2015Liminairement, il est possible de relever que la ligne de conduite du gouvernement ne fut pas toujours aussi simple qu’il l’évoque. En effet, un projet de circulaire du ministère de la Santé (adopté le 5 septembre 1996 par le Conseil supérieur d’hygiène de France mais jamais signé ; reproduit dans G. d’Abbadie et C. Bouriot, Code pratique des opérations funéraires : 3e éd. Le Moniteur 2004 p. 679, p. 633) reconnaît qu’il ne s’agit pas d’une exhumation, et attire l’attention sur la nécessaire décence devant entourer l’exécution de l’opération.
D’autre part, si la discordance actuelle d’entre les deux ordres de juridictions est patente (en tout cas entre le Conseil d’État et la Cour de cassation), il est loisible de relever que la "fluctuation", pour reprendre le terme de la réponse ministérielle, éventuelle au sein même de l’ordre administratif doit être relativisée, lorsque sont supposés se contredire l’arrêt "commune de Conte" (CE, 11 décembre 1987, Commune de Contes c/ Cristini : Rec. CE, p. 413 ; D. 1988, somm. 378, obs. Moderne et Bon) et l’arrêt "Ville de Marseille" (CE, 17 octobre 1997, Ville de Marseille c/ Consorts Guien, req. n° 167648 ; Rec. CE, tables p. 978).
En effet, si le Conseil d’État vise, dans les motifs de son arrêt, les dispositions afférentes aux exhumations, cet arrêt n’a néanmoins pas été considéré comme ayant remis en cause le principe posé par l’arrêt "Commune de Contes", puisque le juge, en 1997, ne qualifie pas directement l’opération.

Réduction versus exhumation

À vrai dire, cette réponse permet de mettre en présence l’enjeu de cette qualification. En résumé, si on qualifie l’opération d’"exhumation", trouvent alors à s’appliquer les dispositions relatives à ce régime juridique. Or l’exhumation d’un défunt ne peut être demandée que par une personne bien précise. En effet, l’art. R. 2213-40 du Code Général des Collectivités Territoriales (CGCT) énonce que : "Toute demande d’exhumation est faite par le plus proche parent de la personne défunte. Celui-ci justifie de son état civil, de son domicile et de la qualité en vertu de laquelle il formule sa demande."
C’est ce régime si particulier qui trouverait donc à s’appliquer aux réductions de corps ; il faut alors admettre que, du point de vue de la gestion, il vide l’opération de ce qui pouvait caractériser
son intérêt pratique. L’avantage de ne pas qualifier cette opération d’"exhumation" est bien de permettre que le demandeur de l’opération ne soit pas le plus proche parent du défunt. Il devient alors possible d’envisager que toute personne disposant du droit à inhumation dans une sépulture, où à tout le moins toute personne ayant qualité pour pourvoir aux funérailles, peut demander à ce qu’une réduction soit opérée pour justement faire valoir ce droit.
Pratiquement, il convient de ne pas oublier que, lors d’un décès, les familles ne disposent que de six jours pour organiser les funérailles (CGCT, art. R. 2213-33). Or désormais, si la sépulture ne comporte plus de place disponible sans qu’une réduction soit nécessaire, il conviendra de demander au plus proche parent disponible du défunt dont on demande la réduction son autorisation.
De surcroît, a priori et selon la conformation de la sépulture, celui (ceux) dont on demande la réduction devraient logiquement être les corps inhumés depuis le plus longtemps. Si l’on suit la logique qui veut que la réduction soit une exhumation, la sortie des éventuels corps placés entre le défunt à réduire et la surface de la sépulture nécessite alors également une exhumation des défunts inhumés dans cet intervalle.
Il faudra alors que celui qui demande la réduction soit le plus proche parent également de ces autres défunts. On se dirige ainsi tout droit vers la seule solution rapide et juridiquement sûre, qui serait de demander la délivrance d’un nouvel emplacement à la commune. Cette solution est donc, à rebours de toute la logique actuelle du droit funéraire, potentiellement consommatrice d’espace public, et surtout peu soucieuse des deniers des endeuillés devant faire l’achat d’un emplacement, et la plupart du temps d’un caveau et d’un monument funéraire.
D’autre part, on relèvera dans cette réponse la phrase selon laquelle : "Étant par ailleurs entendu que la stricte observation des dispositions de l’art. 16-1-1 du Code civil sur le respect dû au corps humain plaide pour que la réalisation des opérations de réunion ou de réduction de corps bénéficie des mêmes garanties que celles prévues pour une exhumation.
Dès lors, les opérations de réunion ou de réduction des corps doivent être effectuées si l’état des corps concernés le permet, dans les conditions définies par l’art. R. 2213-40 du CGCT." Là encore, nous ne discernons pas en quoi une opération juridiquement différente de l’exhumation viendrait empêcher que le respect dû aux morts soit assuré. Il a toujours été entendu que la réduction devait être le produit de l’action du temps, et qu’il n’était aucunement question d’"aider la nature" par une quelconque intervention.
Au final, nous pensons qu’une opération juridiquement différente et pour laquelle la protection des défunts est déjà assurée par les textes existants mériterait d’être envisagée tant par le juge judicaire que par l’Administration.

Réduction et réunion de corps au sein d’une concession funéraire
15e législature

Question écrite n° 08299 de M. Jean-Pierre Sueur (Loiret – SOCR) publiée dans le JO Sénat du 20/12/2018 – page 6532

M. Jean-Pierre Sueur appelle l’attention de M. le ministre de l’Intérieur sur l’opération de réduction de corps au sein d’une concession funéraire. Actuellement, des défunts ayant un droit légitime à être inhumés dans une sépulture ne peuvent parfois pas être accueillis dans la concession familiale, faute de place disponible. Dès lors, s’est développée la pratique de réduction et de réunion de corps, qui consiste à rassembler dans un reliquaire les restes d’un défunt, afin d’introduire de nouveaux cercueils dans la concession.

Dans le cas où les restes étaient conservés dans la concession, l’opération de réduction de corps pouvait auparavant être pratiquée avec la simple autorisation du titulaire de la sépulture. Cependant, la cour administrative d’appel de Douai a estimé, dans un arrêt du 31 mai 2012, "qu’une opération de réunion de corps s’analyse en une exhumation subordonnée tant à l’accord des plus proches parents des personnes défuntes qu’à l’autorisation préalable du maire de la commune".

Cet arrêt rompt donc avec la jurisprudence du Conseil d’État du 11 décembre 1987 (n° 72998, commune de Contes c/ Cristini) limitant l’exhumation à l’opération qui a pour effet une modification de lieu de sépulture. Cette nouvelle obli-gation est contraignante pour les familles et les communes, qui doivent parfois effectuer des démarches fastidieuses pour retrouver les descendants directs des défunts inhumés dans la concession.

Par ailleurs, la nécessité d’obtenir l’accord de tous les plus proches parents, qu’ils soient héritiers ou non de la concession funéraire, peut entraîner d’importantes difficultés pour effectuer cette opération. En conséquence, il lui demande quelles dispositions il compte prendre pour que la réglementation concernant les opérations de réduction ou de réunion de corps au sein d’une concession soit moins contraignante pour les familles et les communes.

Transmise au ministère de la Cohésion des territoires et des Relations avec les collectivités territoriales

Réponse du ministère de la Cohésion des territoires et des Relations avec les collectivités territoriales publiée dans le JO Sénat du 20/06/2019 – page 3220

La réduction de corps au sein d’une concession funéraire consiste à recueillir les restes mortels préalablement inhumés dans une boîte à ossements pour la déposer dans la même sépulture (concession en pleine terre ou cases d’un caveau). Lorsqu’elle implique les restes mortels de plusieurs défunts, cette opération porte le nom de "réunion de corps".

Ces opérations ont pour objectifs de libérer une ou plusieurs places dans la sépulture et de permettre à cette dernière d’accueillir des corps supplémentaires. Issue de la pratique, celle-ci n’est spécifiquement réglementée par aucun texte législatif ou réglementaire, mais par la doctrine administrative, éclairée des jurisprudences administrative et judiciaire.

À cet égard, le lien entre réduction de corps et exhumation fait l’objet d’une évolution jurisprudentielle allant dans le sens d’une assimilation de la première à la seconde, en accord avec la doctrine administrative (Rép. min. n° 5 187, JO Sénat, Q., 14 avril 1994, p. 873). La Cour de cassation, en décidant "que l’opération de réunion de corps s’analyse en une exhumation subordonnée tant à l’accord des plus proches parents des personnes défuntes qu’à l’autorisation préalable du maire de la commune" (Cass., Civ. 1re, 16 juin 2011, req. n° 10-13.580), a en effet unifié la position de l’ordre juridictionnel judiciaire, remettant en cause les jurisprudences qui avaient pu juger en sens inverse (CA Caen, 19 mai 2005, req. n° 03/03750 ; CA Dijon, 17 novembre 2009, req. n° 08/01394).

La position du Conseil d’État apparaît pour sa part fluctuante, dès lors que, si la haute juridiction administrative a pu décider que la réduction de corps "n’a pas le caractère d’une exhumation" (Cons. d’État, 11 décembre 1987, Commune de Contes, req. n° 72 998), elle n’a pas hésité à viser les dispositions relatives à l’exhumation dans une affaire relative à cette opération (Cons. d’État, 17 octobre 1997, Ville de Marseille, req. n° 167 648).

Il n’est pas prévu de remettre en cause la position du Gouvernement, assimilant réduction ou réunion de corps avec exhumation, étant par ailleurs entendu que la stricte observation des dispositions de l’art. 16-1-1 du Code civil sur le respect dû au corps humain plaide pour que la réalisation des opérations de réunion ou de réduction de corps bénéficie des mêmes garanties que celles prévues pour une exhumation. Dès lors, les opérations de réunion ou de réduction de corps doivent être effectuées si l’état des corps concernés le permet, dans les conditions définies par l’article R. 2213-40 du CGCT. L’autorisation d’exhumer puis de réunir ou réduire les corps est délivrée par le maire de la commune où doivent avoir lieu ces opérations, à la demande du plus proche parent du défunt. Celles-ci ne peuvent être réalisées que par un opérateur funéraire habilité, et en présence du plus proche parent ou de son mandataire.

 

Philippe Dupuis
Consultant au Cridon, chargé de cours à l’université de Valenciennes, formateur en droit funéraire pour les fonctionnaires territoriaux au sein des délégations du CNFPT

Résonance n° 152 - Juillet 2019

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