Les funérailles sont avant tout l’affaire des familles respectueuses de la volonté du défunt et de la nécessité de lui rendre un dernier hommage. Cependant, le caractère éminemment "social" du décès a toujours impliqué une régulation au nom de l’ordre public.

 

 

"À aucune époque, dans aucun pays, ce qui a trait au respect dû aux morts, aux sépultures, aux mesures d’hygiène qu’il convient de prendre après le décès d’un individu n’a pu rester indifférent à l’autorité religieuse ou civile entre les mains de laquelle se trouvait placée la garde des grands intérêts sociaux" (A. Chareyre, 1884, "Traité de la législation relative aux cadavres", Larose et Forcel 1884, p. 1). Bien que les funérailles aient sociologiquement évolué, il incombe toujours au "pouvoir social" d’assurer l’encadrement normatif du décès et de ses conséquences. S’il est aisément compréhensible que le droit ne peut se désintéresser de la mort (B. Py, "La mort et le droit", coll. "Que-sais-je ?" n° 3339, PUF 1997, 128 pages) et de l’ensemble de ses conséquences.

Le décret du 23 prairial an XII, "véritable charte des cimetières" (R. Auzelle, "Dernières demeures", Imprimerie Mazarine, Paris, 1965, p. 83) et qui, peu ou prou, à travers des codifications successives (Code de l’administration communale, Code des communes puis Code général des collectivités territoriales - CGCT) gouverne toujours les lieux de sépultures sur notre territoire n’a pas "inventé" le cimetière en tant que lieu collectif de sépulture. Le cimetière existait avant la naissance du droit funéraire "moderne".

 

Une place éminente de la religion

 

"À l’origine des sociétés, tout ce qui touche aux cérémonies mortuaires, aux sépultures, au culte des morts était du domaine exclusif de la religion confondue avec l’État. Et il faut convenir […] que, par la force et la nature de l’autorité dont elle dispose, la religion est plus à même que le pouvoir civil d’imposer aux mœurs et à la liberté des citoyens, avec moins de peine et des froissements moindres, certaines contraintes que commande avant tout la préoccupation de la salubrité publique". (A. Chareyre, ouvrage précité, p. 3). De ce constat, se traduit le double combat du pouvoir civil contre l’autorité religieuse qui explique aujourd’hui la place du droit public et des personnes publiques dans la régulation des obsèques.

C’est, tout d’abord, devant l’impuissance ou l’incurie de l’autorité religieuse à véritablement traiter les problèmes d’hygiène que pose le corps mort (inhumé à l’intérieur et aux abords des églises) que se sont naturellement justifiées les premières interventions du pouvoir civil dans cette matière traditionnellement aux mains de l’autorité religieuse (sur l’histoire des usages et de la législation funéraire : R. Auzelle, ouvrage précité ; M. Mélin, "La police des cimetières", Thèse [dactyl.], Université de Paris, 1969, 391 pages, p. 4-20). De ce premier combat pour la protection de l’hygiène publique résulte la sécularisation des cimetières (1804). Un siècle plus tard, il s’agira de la sécularisation du service extérieur des pompes funèbres qui, quant à elle, résulte du second combat, celui de la laïcité.

 

L’intervention des Parlements

 

Des interventions du Parlement de Paris (12 mars 1763 et 21 mai 1765), de Toulouse (3 sept. 1774) à celle de la déclaration royale du 10 mars 1776, la motivation du pouvoir civil est avant tout de régler des questions de salubrité (P. Ariès, "L’homme devant la mort", Seuil 1977, p. 472-513 ; J. Aubert [dir.], "Pour une actualisation de la législation funéraire", La Documentation Française 1981, p. 181-194 ; B. Toulier. Le décret du 23 prairial an XII : "Formation et naissance d’une nouvelle réglementation sur l’inhumation et la sépulture",  reproduit dans le rapport Aubert précité, p. 161-175 ; J.-P. Tricon et A. Autran, "La commune, l'aménagement et la gestion des cimetières", Berger-Levrault, 1979, p. 13). Il est possible de rappeler qu’au Moyen Âge les nobles et les clercs étaient inhumés dans les églises, alors  que les autres défunts se trouvaient au plus proche de Dieu, c’est-à-dire des églises, les cimetières recevant de nombreuses dépouilles ("on y pratiquait la vaste hospitalité funèbre qui était, en principe, celle de la chrétienté" comme l’a rappelé Robert Auzelle [ouvrage précité, p. 39]).

 

Une configuration totalement différente

 

Or, les cimetières à l’époque n’avaient absolument pas la même configuration que ceux qui seront "organisés" par le décret du 23 prairial an XII. Au préalable, il est possible d’observer qu’ils ne faisaient pas l’objet de plantations, a priori afin de ne pas gêner la circulation de l’air (R. Auzelle, ouvrage précité, p. 65 et 82). Il ne s’agissait pas de lieux "publics" en ce sens que n’y avaient accès que les personnels des fabriques catholiques chargées des obsèques (de même qu’existaient des charniers - ancêtres, en quelque sorte, de nos ossuaires créés en 1924 - sous lesquels des inhumations étaient pratiquées, alors que les ossements étaient entreposés à l’étage ; R. Auzelle, ouvrage précité, p. 54). Par ailleurs, il s’agissait davantage de recouvrir des corps (en linceul et non en cercueil) de terre que de creuser réellement cette dernière. La sépulture n’était pas individuelle, d’où l’expression de fosse commune propre au cimetière du Moyen Âge.

Il est traditionnel d’évoquer le cimetière des innocents à Paris et de rappeler que "les inhumations y avaient été si nombreuses depuis le Moyen Âge que son niveau était exhaussé de huit pieds par rapport à celui des rues avoisinantes" (R. Auzelle, ouvrage précité, p. 84). Force est d’admettre que les cimetières ne seront pas correctement gérés et entretenus. Ce sont d’ailleurs des nécessités liées à la prophylaxie qui amèneront les autorités publiques à des interventions pour tenter de déplacer les cimetières en dehors des villes. Les arrêts des Parlements de Paris et de Toulouse (les Parlements, dans l’organisation des juridictions sous l’ancien régime, correspondent peu ou prou à nos actuelles cours d’appel) du 21 mai 1765 et 3 sept. 1774 visaient principalement à supprimer les cimetières à l’intérieur des villes "sauf ceux des communautés et des hôpitaux" comme l’a relevé Robert Auzelle (ouvrage précité, p. 84). Ainsi que l’indique toutefois cet auteur, "il fallut attendre 1788 pour que, par ordonnance royale, fût fermé le Cimetière des Innocents" (ibid.).

 

Protéger l’hygiène publique

 

Les auteurs s’accordent pour considérer que la laïcisation du cimetière a davantage eu pour objet les considérations en matière de santé publique qu’une préoccupation de rendre "laïque" cet espace qui d’ailleurs (voir infra) ne le deviendra qu’après 1881. Les premières interventions des pouvoirs publics sous l’ancien régime et les textes issus de la période révolutionnaire n’ont donc pour objet que l’ordre public au sens de la salubrité.
Il en sera ainsi du décret du 23 prairial an XII (12 juin 1804) qui constitue encore le fondement des grands principes de la législation applicable au cimetière, puisque les règles aujourd’hui codifiées dans le CGCT n’ont été finalement que peu modifiées. "Le décret [du 23 prairial an XII] est le résultat d’un long débat sur la sépulture : acte religieux dépendant principalement de l’autorité ecclésiastique, puis opération relevant de la santé publique et de la police communale. Il prononce une rupture fondamentale entre le monde des vivants et des morts par l’éloignement des sépultures. Le processus de la désocialisation de la mort, lentement amorcée tout au long du XVIIIe siècle, est maintenant en place". (B. Toulier, étude précitée, p. 162).

Cependant, si l’État est compétent en matière de cimetière, l’Église conserve les funérailles dont elle reçoit le monopole (Chareyre, ouvrage précité, p. 3-4). Il est possible de noter d’ailleurs que, malgré la propriété communale des cimetières, les fabriques se trouvaient chargées de leur entretien (art. 37 du décret du 30 déc. 1809 ; G. Chaillot, "Le droit funéraire français",  éd. Pro Roc 1997, tome 2,  p. 43-46).


Un service public des pompes funèbres laïc

 

Le deuxième combat, celui de la laïcité républicaine, viendra s’achever par l’affirmation d’un monopole communal pour le service public des pompes funèbres (loi du 28 déc. 1904), après avoir proclamé la liberté des funérailles dans cette grande loi, toujours applicable, du 15 nov. 1887 (M. Perchey, "La liberté des funérailles, une liberté limitée", AJDA 2008, 1310 ; J.-F. Boudet, "La liberté des funérailles", Droits et religions – Annuaire 2010-2011, P.U. Aix-Marseille, 2011).

La victoire de la laïcité républicaine connaîtra des excès inverses de ceux ayant amené le législateur à proclamer la liberté des funérailles (en réaction à des pratiques discriminatoires à l’endroit des libres-penseurs), les maires interdisant au début du XXe siècle aux prêtres de participer aux convois en habits sacerdotaux au nom de l’ordre public. Le Conseil d’État, contrairement à la Cour de cassation, sanctionnera rapidement de telles pratiques limitant les interventions du maire à ses compétences propres, l’ordre public (P.-A. Lecocq, "Les grands arrêts contradictoires", Ellipses 1997, p. 52-64).

Il conviendra de retenir que la régulation par les pouvoirs publics s’articule donc historiquement sur les notions d’ordre public (qui inclut, tout d’abord, la salubrité publique, mais également la tranquillité publique) et de neutralité. Ces éléments vont justifier l’existence d’un monopole pour l’organisation de ces deux services publics que constitue la gestion du cimetière et du service extérieur des pompes funèbres.

 

Damien Dutrieux,Damien-Dutrieux-signature
consultant au CRIDON Nord-Est, maître de conférences associé à l’Université de Lille 2.

Instances fédérales nationales et internationales :

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