La dimension d’une concession funéraire implique la prise en compte de l’espace inter-tombes obligatoirement fourni. C’est ce qu’a récemment rappelé la cour administrative d’appel de Bordeaux dans un arrêt du 29 septembre 2009.

 

Les faits à l’origine de cet arrêt (voir l’arrêt reproduit en annexe) peuvent se présenter ainsi : par acte du 28 janvier 1996, a été délivrée une concession perpétuelle dans un cimetière de la commune de Massels. Cette concession obtenue par Mme Louise X possédait la particularité d’être située à côté de la tombe de son mari. Or, le 5 décembre 1996, Mme E a également obtenu une concession perpétuelle dans le même cimetière ; cette seconde sépulture a également été localisée près de la tombe de M. X et a été utilisée pour l’inhumation de M. F.. Mme Louise X a donc constaté que la localisation de la concession de Mme E et l’inhumation de M. F l’empêchaient d’avoir sa propre concession près de la tombe de son mari, et a logiquement introduit une action de plein contentieux à l’encontre de la commune de Massels devant le tribunal administratif de Bordeaux le 29 juillet 2005. La requérante étant décédée en cours d’instance, son inhumation a dû être faite dans un caveau provisoire dans le cimetière de Penne d’Agenais. L’instance a été reprise par deux des héritiers de Mme X, le tribunal administratif de Bordeaux a, par jugement en date du 27 novembre 2007, condamné la commune à payer aux ayants droit de Mme X une somme de 5 000 € en réparation de leur préjudice et enjoint à ladite commune de rechercher un accord transactionnel avec Mme E, titulaire de la concession voisine, dans le délai de quinze jours à compter de la notification du jugement, pour régler les modalités de transfert du corps de M. F, enterré dans la concession de Mme E, sur une autre parcelle du cimetière. La commune a interjeté appel et demandé la suspension de l’exécution du même jugement. En réaction, les héritiers de Mme X ont relevé appel incident du jugement précité et demandé une indemnisation supérieure du préjudice subi.


La responsabilité de la commune est retenue par la cour administrative d’appel de Bordeaux dans cet arrêt du 29 septembre 2009 qui considère que la commune n’a pas délivré une concession permettant l’inhumation de sa titulaire et que le maire, autorité détenant la police du cimetière et donc tenu de surveiller ce dernier et notamment les conditions dans lesquelles une inhumation peut légalement être réalisée, a commis une faute de nature à engager la responsabilité de la commune.

Cet arrêt mérite de retenir particulièrement l’attention à un titre particulier parce qu’il traite de la question de l’espace inter-tombes et rappelle les obligations qui s’imposent à la commune en la matière.

Le caractère obligatoire de l’espace inter-tombes

Deux dispositions sont en la matière applicables. Le dernier alinéa de l’article L. 2223-13 du Code général des collectivités territoriales qui indique que "le terrain nécessaire aux séparations et passages établis autour des concessions de terrains mentionnées ci-dessus est fourni par la commune", et, l’article R. 2223-4 qui précise que "les fosses sont distantes les unes des autres de 30 à 40 centimètres sur les côtés, et de 30 à 50 centimètres à la tête et aux pieds".

La domanialité publique de ces espaces

Cet espace, qualifié d’espace inter-tombes (ou inter-concessions), appartient au domaine public communal (sur la domanialité publique du cimetière, voir D. Dutrieux, Opérations funéraires : JurisClasseur Collectivités territoriales, fasc. 717, août 2009, § 129). Comme l’a récemment rappelé la cour administrative d’appel de Marseille dans un arrêt du 2 juin 2008 (Ph. Dupuis, Espaces inter-tombes : un no man’s land ? : Les Cahiers Juridiques des Collectivités Territoriales n° 130, juin-juillet 2009, p. 26) :
"qu’il résulte de ces dispositions qu’un passage d’une largeur minimum réglementaire doit être ménagé entre les tombes ou les concessions ; que ces espaces inter-tombes ou inter-concessions font partie du domaine public communal et sont insusceptibles de droits privatifs ; qu’il appartient au maire, dans le cadre de ses pouvoirs de police des cimetières, d’empêcher tout empiétement sur ces espaces" ; (voir cependant la position contraire de : TA Rennes 9 déc. 1994, Corgnet : JCP G 1995, IV, 1771).

Des espaces obligatoires et gratuitement fournis

Comme l’indique Daniel Mastin (Cimetières et opérations funéraires – Guide pratique : SOFIAC 1997, p. 277), la Cour de cassation a refusé de rendre applicable ces dispositions à des tombes séparées sur une même concession (Cass. Civ. 20 février 1899 : DP 1899, 1, 230). Par ailleurs, il est interdit au maire de prélever cet espace sur les concessions (CE, 18 févr. 1972, Ch. syndicale des entreprises artisanales du bâtiment de la Haute-Garonne : Rec. CE, p. 153 ; AJDA 1972, p. 215, chron. Labetoulle et Cabanes ; JCP G 1973, II, 17446, note F. Bouyssou). Ce terrain doit donc être obligatoirement et gratuitement fourni par la commune. De même, Georges Chaillot relève dans son ouvrage (Le droit funéraire : tome 2 ; éd. Pro Roc 1997, p. 182) que le Répertoire du droit administratif de 1907 rappelait déjà (p. 407) que "le seul terrain qui doive être fourni par les communes à titre gratuit est le terrain nécessaire aux séparations et passage entre les concessions, et non l’espace entre plusieurs sépultures dépendant d’une concession" (cette obligation figurait d’ailleurs à l’article 4 de l’ordonnance du 6 décembre 1843). Ainsi, le concessionnaire ne peut sans autorisation construire sur cet espace (en pratique le règlement du cimetière autorise la pose d’une semelle lorsque le terrain supporte un monument). Logiquement, le creusement sous cet espace pour y élargir la construction d’un caveau afin d’y placer des cercueils débordant de l’emprise de la concession est également interdit (Georges Chaillot, ouvrage précité, p. 183).

En l’espèce, le tribunal de Bordeaux, dans un jugement du 18 novembre 2004, avait rejeté la demande du titulaire de la sépulture concédée par la commune de Massels en quelque sorte "sur" la concession de Mme Louise X, visant à faire annuler la décision du maire de cette commune l’ayant mis en demeure de démolir le muret édifié pour délimiter son emplacement, alors que ce muret empiétait de 30 cm sur le domaine public séparant sa concession de celle où était inhumé M. X (Mme Louise X ayant justement sollicité une sépulture près de celle de son époux). Tentant d’échapper à la mise en jeu de sa responsabilité en arguant une intervention contre l’empiètement alors que le juge de la cour d’appel de Bordeaux observe à juste titre que cet espace du domaine public ne pouvait être compté dans l’espace fourni à Mme Louise X qui demeurait insuffisant au regard de l’espace concédé postérieurement à M. E.

Une surface à prendre en compte pour concéder une concession funéraire

En d’autres termes, pour vérifier si l’espace concédé à Mme Louise X était suffisant, il importait non seulement de calculer un espace suffisant pour une concession (en général deux mètres sur un mètre mais il est aujourd’hui conseillé aux communes d’augmenter la longueur des concessions pour prendre en compte des tailles de cercueils de plus en plus importantes), mais encore il convenait d’ajouter l’espace inter-tombes ce dernier ne pouvant être considéré comme faisant partie de la concession.

Enfin, il convient de remarquer qu’en relevant l’argument de la commune selon lequel "les sommes auxquelles elle a été condamnée par le jugement attaqué représentent une part importante du produit des impôts locaux", et en répondant que "cette circonstance est sans incidence sur le droit à réparation des ayants droit de Mme X", le considérant des juges de la cour administrative d’appel de Bordeaux, eu égard au préjudice subi par les héritiers de la requérante, ressort plus de l’évidence que d’un véritable "obiter dictum". Reste à trouver une solution pratique à ce conflit ; elle paraît délicate, en raison de l’impossibilité de déposséder de leur sépulture les membres de la famille de Mme E.

Damien Dutrieux

Annexe :
CAA Bordeaux, 29 sept. 2009, n° 08BX00255, Commune de Massels et Delpech
(...)
Considérant, en premier lieu, qu’il résulte de l’instruction que, par jugement en date du 18 novembre 2004, devenu définitif, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté la demande de M. Alain DCZ tendant à l’annulation de la décision du 9 juillet 2004 par laquelle le maire de la Commune de Massels l’a mis en demeure de démolir le muret qu’il avait édifié en vue de délimiter l’emplacement des sépultures de ses ancêtres, jouxtant la tombe de M. X ; que si la motivation de ce jugement relève que le muret édifié par M. DCZ empiète de 30 centimètres sur le domaine public séparant la sépulture de ses ancêtres de celle de M. X et de 7,5 centimètres sur l’emplacement voisin, ce constat n’est pas contraire à celui dressé par le jugement attaqué selon lequel il n’y a pas de place suffisante, entre les tombes des ancêtres de M. DCZ et celle du mari de Mme X, pour attribuer à Mme X la concession que lui a accordée la Commune de Massels, le 28 janvier 1996 ; que la Commune de Massels n’est donc pas fondée à soutenir que le jugement attaqué méconnaîtrait l’autorité de la chose jugée qui s’attache au jugement du 18 novembre 2004 ;
Considérant, en second lieu, qu’il résulte de l’instruction et notamment du rapport de l’expert, qu’en accordant à Mme X une concession qui empiète sur la sépulture Lacan-Loze de Plaisance rendant impossible l’inhumation de Mme X aux côtés de son époux, et qui méconnaît les dispositions de l’article R. 2223-4 du Code général des collectivités territoriales qui prévoient notamment que les fosses sont distantes les unes des autres de 30 à 40 cm sur les côtés, le maire qui est chargé de l’ordre matériel du cimetière, de sa surveillance et des conditions dans lesquelles une inhumation peut légalement être réalisée, a commis une faute de nature à engager la responsabilité de la Commune ; que, dès lors, la Commune de Massels n’est pas fondée à soutenir que c’est à tort que le tribunal administratif l’a condamnée à payer une somme de 5 000 euros aux ayants droit de Mme X ;
Considérant qu’il résulte de tout ce qui précède que la Commune de Massels n’est pas fondée à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bordeaux l’a condamnée à réparer les conséquences dommageables de ses fautes ; que, par suite, les conclusions de la Commune de Massels à fin de suspension du jugement attaqué sont dépourvues d’objet ;
Sur l’appel incident des consorts X :
Considérant que s’il résulte de l’instruction que Mme X, faute d’avoir pu être inhumée dans sa concession, l’a été à titre provisoire dans un caveau du cimetière de la commune de Penne d’Agenais ; que si la Commune de Massels fait valoir que les sommes auxquelles elle a été condamnée par le jugement attaqué représentent une part importante du produit des impôts locaux, cette circonstance est sans incidence sur le droit à réparation des ayants droit de Mme X ; qu’il y a lieu de faire droit aux conclusions incidentes des consorts X tendant à ce que la somme à laquelle la Commune de Massels a été condamnée au titre des troubles de toute nature dans leurs conditions d’existence soit portée à 8 000 € ;
(...)

 

Instances fédérales nationales et internationales :

FNF - Fédération Nationale du Funéraire FFPF - Fédération Française des Pompes Funèbres UPPFP - Union du Pôle Funéraire Public CSNAF - Chambre Syndicale Nationale de l'Art Funéraire UGCF - Union des Gestionnaires de Crématoriums Français FFC - Fédération Française de Crémation EFFS - European Federation or Funeral Services FIAT-IFTA - Fédération Internationale des Associations de Thanatoloques - International Federation of Thanatologists Associations