Commentaire du jugement du Tribunal Administratif (TA) de Paris n° 1709062/4-1, en date du 11 octobre 2018(suite et fin).

 

Tricon JP 2019Le 4 août 2017, j’ai publié dans Résonance un article intitulé : "La problématique des concessions funéraires délivrées par une commune à deux personnes n’appartenant pas à une même et seule famille", dans lequel j’évoquais le litige qui opposait les deux seules filles légitimes de M. B, héritières réservataires de feu leur père, à la maîtresse et compagne du défunt, avec laquelle il avait vécu durant pratiquement trois décennies, sans cependant avoir divorcé d’avec son épouse légitime, prédécédée en 2010, portant sur l’identification des droits détenus par ces héritières par le sang sur la concession délivrée au cimetière du Père-Lachaise, à Paris (P), au bénéfice de M. B et de sa maîtresse, Mme C, concession qualifiée dans l’acte, donc le titre, de concession familiale.Le 4 août 2017, j’ai publié dans Résonance un article intitulé : "La problématique des concessions funéraires délivrées par une commune à deux personnes n’appartenant pas à une même et seule famille", dans lequel j’évoquais le litige qui opposait les deux seules filles légitimes de M. B, héritières réservataires de feu leur père, à la maîtresse et compagne du défunt, avec laquelle il avait vécu durant pratiquement trois décennies, sans cependant avoir divorcé d’avec son épouse légitime, prédécédée en 2010, portant sur l’identification des droits détenus par ces héritières par le sang sur la concession délivrée au cimetière du Père-Lachaise, à Paris (P), au bénéfice de M. B et de sa maîtresse, Mme C, concession qualifiée dans l’acte, donc le titre, de concession familiale.

Devant le Tribunal de Grande Instance (TGI) de P, saisi du litige portant sur le règlement, liquidation et partage de la succession de feu M. B, les demanderesses invoquaient, dans leurs conclusions récapitulatives, que l’art. L. 2223-13 du Code Général des Collectivités Territoriales (CGCT) avait pour seule vocation de permettre à une personne physique d’obtenir une concession funéraire, pour elle, ses enfants ou successeurs, lorsque l’étendue des lieux le permet, et, de ce fait, interdisait à deux personnes, sans lien familial, de se voir attribuer une concession commune. Or ce moyen fut rejeté par le TGI de P, estimant qu’il était soutenu à tort, ce qui laissait à penser que cette juridiction avait interprété un acte administratif individuel, bien même s’il n’en possédait point la capacité. 

Le défaut dans la défense des deux filles légitimes du défunt, héritières réservataires, a résidé dans le fait procédural que cette interprétation de cet acte administratif individuel devait être sollicitée au titre d’une question préjudicielle, avant toute défense au fond, par la saisine du TA de P, effectuée par les soins du TGI.

Nous passerons volontairement sur les suites données à d’autres prétentions émanant de ces deux filles, dès lors qu’elles ont été amplement développées dans notre article précédent, en date du 4 août 2017, lesquelles n’apportent rien d’intéressant au débat initié par les présentes écritures.

Cependant, il sera, ici, réitéré que l’issue de ce procès civil, globalement défavorable aux intérêts et droits des héritières réservataires, a été étroitement liée à l’interprétation et aux effets juridiques que le TGI de P a donnés au contenu de l’art. L. 2223-13 du CGCT, qui constituait, en l’espèce, de fait et de droit, l’axe cardinal de ce procès, car force est d’admettre que la défense des deux filles de M. B n’avait pas tiré toutes les conséquences juridiques résultant de la définition de la concession funéraire.

C’est pourquoi il avait été estimé opportun de soumettre au président du TA de P une requête en interprétation d’un acte administratif individuel, car, dans le corps de l’acte de concession, il était clairement mentionné que ladite concession était destinée à une sépulture de famille, alors que M. B et Mme C, bien qu’ayant entretenu une relation durable hors mariage, ne pouvaient, manifestement, constituer une famille au sens des définitions et règles juridiques résultant du Code civil.

C’est pourquoi une requête fut enregistrée au greffe du TA de P le 29 mai 2017, laquelle n’avait pas pour but de rechercher des moyens de nature à contester cette décision du TGI de P devant la cour, statuant en matière civile, mais, uniquement, de définir la nature de la concession funéraire, savoir, s’il s’agissait d’une concession collective, donc affectée à deux personnes nommément désignées dans l’acte attributif (contrat de concession), ou bien, comment interpréter la mention figurant sur ledit titre, a savoir :"Après avoir pris connaissance des dispositions légales et réglementaires relatives aux concessions perpétuelles dans les cimetières, et notamment de l’arrêté municipal, portant règlement général des cimetières de la ville de P, les soussignés, M. B et Mme C […] s’engagent à les observer, et demandent la concession au cimetière de l’Est de 2 mètres 00 centième superficiels de terrain pour y fonder à perpétuité une sépulture de famille." C’est donc sur cette notion de sépulture de famille que portait la requête en interprétation de l’acte attributif de la concession perpétuelle. 

1 - Sur la compétence du juge administratif

L’art. R. 312-4 du Code de justice administrative énonce : "Les recours en interprétation et les recours en appréciation de légalité relèvent de la compétence du TA territorialement compétent pour connaître de l’acte litigieux." Il sera fait remarque que cet énoncé, succinct, n’assujettit pas la saisine du TA à une compétence exclusive d’une juridiction judiciaire.
De surcroît, même si le régime juridique des concessions funéraires est situé à la frontière entre le droit privé et le droit public, il ressort de la jurisprudence du Conseil d’État et des décisions des Cours Administratives d’Appel (CAA) que le contentieux qui oppose un concessionnaire (il faut entendre, ici, le fondateur de la concession ou ses héritiers (enfants ou successeurs) à l’Administration, relève bien de la compétence des TA, en vertu, notamment, de l’arrêt d’assemblée du Conseil d’État du 21 octobre 1955, Demoiselle Méline, qui a, non seulement, consacré la domanialité publique du cimetière, mais en a aussi tiré les conséquences en ce qui concerne le régime juridique des concessions dans les cimetières en prescrivant que : "Les concessions sont des contrats portant occupation du domaine public communal, ne présentant pas les caractères de précarité et de révocabilité attachés aux occupations ordinaires du domaine public et que les litiges y afférents relèvent de la juridiction administrative." 

Cette décision a été confirmée par l’arrêt de principe du Conseil d’État, en date du 11 octobre 1957, consorts Hérail. Il résultait de ces énonciations que la juridiction administrative était bien compétente pour connaître de cette requête.

2 - Sur le régime juridique des concessions funéraires : le fondement textuel (art. L. 2223-13 du CGCT)

a) La requête énonçait les moyens ou constatations suivants :Cet article, modifié par la loi n° 2008-1350 du 19 décembre 2008, art. 23, dispose que : "Lorsque l’étendue des cimetières le permet, il peut être concédé des terrains aux personnes qui désirent y fonder leur sépulture et celle de leurs enfants ou successeurs. Les bénéficiaires de la concession peuvent construire sur ces terrains des caveaux, monuments et tombeaux. Il peut être également concédé des espaces pour le dépôt ou l’inhumation des urnes dans le cimetière. Le terrain nécessaire aux séparations et passages établis autour des concessions de terrains mentionnées ci-dessus est fourni par la commune".

De par sa formulation, cet article semblait ne pas exclure la possibilité pour les communes ayant institué des concessions funéraires de délivrer à plusieurs personnes une sépulture d’une durée autorisée par le conseil municipal (art. L. 2223-14 du CGCT), cette assemblée délibérante étant, également, compétente pour déterminer les tarifs des redevances perçues auprès des attributaires.

Cependant, force était d’admettre qu’il pouvait s’agir d’un effet pernicieux de sémantique, car, selon la jurisprudence civile ou administrative, mais aussi la doctrine, dont en particulier la réponse ministérielle n° 47006, JOAN 26 octobre 1992, p. 4919, il n’existerait que trois types de concessions funéraires, savoir :

b) Le texte de la réponse ministérielle n° 47006, JOAN 26 octobre 1992 :L’art. L. 2223-13 du CGCT prévoit que : "Lorsque l’étendue des cimetières le permet, il peut être concédé des terrains aux personnes qui désirent y fonder leur sépulture et celle de leurs enfants ou successeurs. Les bénéficiaires de la concession peuvent construire sur ces terrains des caveaux, monuments et tombeaux." Sur le fondement de l’art. L. 2223-13, précité, plusieurs catégories de personnes ont un droit à être inhumées, selon la nature de la concession. 
- Il s’agit, tout d’abord, du titulaire d’une concession dite "individuelle", c’est-à-dire dans laquelle il peut être inhumé, et qui ne recèle qu’une place.
- Il s’agit, ensuite, des personnes qui ont droit à être inhumées dans une concession dite "collective" : c’est-à-dire des personnes qui sont expressément désignées, et elles seules, dans l’acte de concession.
- Il s’agit, enfin, des personnes qui ont droit à être inhumées dans une concession dite "de famille", c’est-à-dire le titulaire de la concession, ainsi que son conjoint, ses successeurs, ses ascendants, ses alliés et ses enfants adoptifs.
Cependant, le titulaire de la concession demeure le régulateur du droit à être inhumé dans sa concession. La jurisprudence lui a reconnu le droit d’exclure, nommément, certains parents, ou de désigner celui de ses héritiers auquel il appartiendra de désigner les bénéficiaires du droit à l’inhumation dans la concession dite "de famille".
Le Conseil d’État a même admis le droit à être inhumé dans la concession dite "de famille" à une personne étrangère à la famille, mais qu’unissaient, en l’occurrence, des liens particuliers d’affection (Consorts Hérail, 11 octobre 1957). Il appartient, donc, au maire, saisi d’une demande d’inhumation dans le cimetière communal, de vérifier et de respecter les droits de l’ensemble des personnes susvisées.
À ce sujet, la Haute Assemblée, dans l’arrêt Consorts Hérail, précité, a indiqué que "le maire ne peut s’opposer à une inhumation que pour des motifs tirés de l’intérêt public".
Il sera, au surplus, rajouté que la plupart des auteurs d’ouvrages spécifiques à la législation et à la réglementation funéraires, dont plus particulièrement Marie-Thérèse Viel, dans son livre intitulé "Droit funéraire et gestion des cimetières" 2e édition Berger-Levrault éditeur, Georges Chaillot, dans "Le Droit des sépultures en France" éditions Pro Roc, Jean-François Auby et Étienne Rials, dans "Votre commune et la mort", éditeur Le Moniteur, Jean-Pierre Tricon et André Autran, dans "La commune, l’aménagement et la gestion des cimetières", Berger-Levrault éditeur (1979), puis Jean-Pierre Tricon et Renaud Tricon, dans "Le Traité de législation et réglementation funéraires", l’ouvrage le plus contemporain, édité en septembre 2009 par la SCIM Résonance, et actualisé après la publication du décret du 28 janvier 2011, opèrent, après analyse approfondie des décisions faisant jurisprudence, une distinction marquée entre le fondateur de la concession (une seule personne physique) et ses héritiers (enfants, descendants ou successeurs), dont les droits n’ont pas la même force et la même rigueur juridiques.
Le droit du fondateur de la concession funéraire, réputé "le concessionnaire", étant un droit réel de nature immobilière, démembré du droit de propriété (la propriété ne peut exister en cas de possession d’une concession, puisque le support de celle-ci est le domaine public, "imprescriptible et inaliénable"), ce qui lui confère de larges prérogatives, notamment celle de déterminer l’affectation spéciale de la concession à sa famille, même s’il dispose du droit d’en limiter ou d’exclure certains de ses membres (Cassation 1re civile, 15 mars 1978, pourvoi n° 75-13432), ce droit n’appartenant qu’à lui, et point à l’autorité ou aux instances communales (CE 7 février 1913, req. n° 39926, Lebon).
En revanche, le droit de l’héritier d’une concession funéraire est nettement moins étendu que celui du fondateur (dénommé "le concessionnaire"), certains auteurs lui ayant reconnu un droit réel de nature immobilière et personnelle à la fois, puisqu’il n’entre pas dans ses prérogatives le pouvoir de dire quelles personnes peuvent être inhumées ou exclues de la concession funéraire, car le droit d’héritier est transmis automatiquement aux enfants du fondateur de la concession et à leurs successeurs, toujours en vertu du principe jurisprudentiel sacro-saint de l’affectation spéciale de la concession à la famille de son fondateur.
Au surplus, si le fondateur de la concession peut en faire donation "avant toute utilisation" (Cassation civile, 6 mars 1973, sieur Billot contre Mund, et réponse ministérielle, n° 11263, JO Sénat 27 juin 1991, p. 1329), c’est-à-dire que la concession ne soit pas devenue sépulture, cette faculté n’est pas ouverte aux héritiers, qui doivent respecter l’affectation spéciale de la concession à la famille du fondateur, règle d’essence jurisprudentielle.
À cet égard, force sera d’observer que l’ensemble des décisions jurisprudentielles, qu’elles émanent du Conseil d’État ou de la Cour de cassation, portent sur des litiges consécutifs à la délivrance d’une concession funéraire à une seule personne physique, comme cela est le cas des décisions principales suivantes :
- Conseil d’État Demoiselle Méline, arrêt d’assemblée en date du 21 octobre 1955, Consorts Hérail, 11 octobre 1957, AJDA, 1957, p. 29, conclusions Khan, Arrêt n° 297914 en date du 25 juin 2005, et, plus anciens : CE, 21 janvier 1910, Lebon 1910, page 49, 7 février 1913, Mure S., 1913 II-81, note Hauriou, ou Chambre syndicale des entreprises artisanales de la Haute-Garonne, Rec ; p. 153 c/ Ville de Toulouse, 1972.
- Cour de cassation 25 octobre 1910, Journal des maires, 1911, p. 37, Cour cass., 13 mai 1980, Wagner c. Coudal, Bull, cass., 1980, I, p. 120, Cour cass., 25 mars 1958, D, 1958, 352 et Cour de cass., 1er juillet 1970, consorts Mare c/ consorts Séguy, D, 1970, p. 671, Cour de cass., Civ, 22 février 1972, Gaz. Pal., 1972, 4, 471 ; D, 1972, 513, note R. Lindon.Il s’ensuit qu’en règle générale les Hautes Assemblées n’ont été confrontées qu’à des litiges opposant, généralement, soit un seul concessionnaire à des membres de sa famille, voire des tiers, soit des héritiers d’un seul concessionnaire entre eux.
La jurisprudence, tant administrative que civile, est quasiment inexistante dans le contexte particulier de l’attribution d’une concession funéraire à deux personnes, étrangères, sauf peut-être à considérer la possibilité de l’existence de plusieurs titulaires/fondateurs, découlant de l’arrêt du Conseil d’État en date du 25 juin 2008, n° 297914, dans un pourvoi en cassation dirigé contre une décision de la CAA de Nancy, ayant confirmé un jugement du tribunal administratif, validant la décision d’un maire de refuser l’octroi d’une concession funéraire à trois sœurs et un frère, donc membres d’une même famille, aux motifs que la superficie de la concession sollicitée était trop conséquente par rapport aux emplacements disponibles dans le cimetière communal. Or, en notre cas d’espèce, cette décision ne saurait constituer une référence jurisprudentielle pertinente et sérieuse, puisque la concession, objet du procès intenté devant le Conseil d’État (arrêt du 25 juin 2008, précité), revêtait manifestement un caractère familial.

3 - Sur le régime juridique des concessions funéraires rapporté au cas d’espèce de la concession perpétuelle, sise au cimetière de l’Est, cimetière du Père-Lachaise attribuée à M. B et à Mme C

Il sera, ici, rappelé, à titre liminaire, que ces deux personnes ne pouvaient justifier d’aucun lien familial, donc constituer, au sens du Code civil, une famille. En disposant sur le titre de la concession perpétuelle : "Après avoir pris connaissance des dispositions légales et réglementaires relatives aux concessions perpétuelles dans les cimetières, et notamment de l’arrêté municipal, portant règlement général des cimetières de la ville de P., les soussignés, M. B et Mme C, s’engagent à les observer, et demandent la concession au cimetière de l’Est de 2 mètres 00 centième superficiels de terrain pour y fonder à perpétuité une sépulture de famille", il est constant que cette concession délivrée à deux personnes physiques distinctes, juridiquement étrangères, n’entrait pas dans les trois catégories énoncées dans la réponse à question écrite d’un parlementaire fournie par le ministre de l’Intérieur, précitée (cf. réponse ministérielle n° 47006, JOAN 26 octobre 1992, p. 4919).
Il sera, ici, opportunément rappelé que, selon le ministre, il n’existerait que trois types de concessions funéraires, savoir :
1° - La concession dite "individuelle", réservée uniquement au concessionnaire, qui l’a sollicitée pour la propre et seule inhumation de son corps.
2° - La concession dite "collective" : les personnes qui disposent d’un droit d’inhumation sont expressément désignées, et elles seules, dans l’acte de concession, sur l’exigence du fondateur de la concession, détenteur d’un droit réel de nature immobilière.
3° - La concession dite "de famille".Le régime juridique de son occupation ou destination résulte, globalement, de la jurisprudence civile et administrative : les personnes qui ont droit à être inhumées dans une concession dite "de famille" sont le titulaire (fondateur de la concession, réputé être le concessionnaire), son conjoint, ses successeurs, ses ascendants, ses alliés et ses enfants adoptifs, et cela dans la limite des places disponibles, étant entendu que la Cour de cassation, 1re chambre civile, a assimilé les réductions de corps ou réunions d’ossements aux dispositions réglementaires énoncées à l’art. R. 2213-40 du CGCT (arrêt n° 634 du 16 juin 2011, n° 10-13.580), ces opérations funéraires permettant d’accroître la capacité de la concession.
En conséquence, sur le fondement de la position adoptée par le ministre de l’Intérieur dans la réponse à question écrite susvisée, force est d’admettre que la concession perpétuelle délivrée à deux personnes physiques distinctes et étrangères, non unies par un lien familial, institutionnel, lesquelles ne pouvaient au plan juridique être susceptibles de constituer une famille au sens du Code civil, donc en l’absence de lien matrimonial, n’appartenait à aucune de ces trois catégories discernées par le ministre de l’Intérieur.

Plus grave encore !

Outre le fait que la commune de P ait accepté de délivrer cette concession à deux personnes juridiquement étrangères, l’une par rapport à l’autre, en tout état de cause, bien que le TGI de P ait reconnu à Mme C la qualité de co-titulaire de la concession dont il s’agit, en vertu de la nature contractuelle de la concession funéraire, comment déterminer le régime juridique de la dévolution successorale puisque, contrairement à ce qui et mentionné sur le titre de la concession, "Les soussignés, M. B et Mme C […] s’engagent à les observer, et demandent la concession au cimetière de l’Est de 2 mètres 00 centième superficiels de terrain pour y fonder à perpétuité une sépulture de famille", cette concession, en l’absence de qualité d’épouse de Mme C, ne pouvait être dévolue à une famille qui n’existe pas, celle qui aurait pu émaner d’une union officielle et institutionnelle entre M. B et ladite Mme C, ce qui ne fut jamais le cas, puisque M. B n’avait jamais intenté une action en divorce jusqu’au décès de feu son épouse légitime, Mme T, survenu en 2010 ?
Toujours dans le même sens, comment déterminer les droits des enfants de M. B sur cette concession, puisque littéralement l’art. L. 2223-13 du CGCT prescrit : "Lorsque l’étendue des cimetières le permet, il peut être concédé des terrains aux personnes qui désirent y fonder leur sépulture et celle de leurs enfants ou successeurs…" ?
Or, s’il ne pouvait être contesté que M. B avait été "crématisé" après son décès et que ses cendres, une fois recueillies dans l’urne, avaient été inhumées dans le caveau aménagé sur la concession perpétuelle dont, selon la famille légitime de M. B, la capacité serait de deux places destinées à l’inhumation de deux cercueils de taille normale (longueur entre 1,85 m et 2,00 m, et largeur à l’épaulement de 0,65 m à 0,70 m), il y avait lieu d’admettre que l’occupation de l’une des deux places par une urne cinéraire ne constituait pas un obstacle dirimant pour déposer dans l’un des deux emplacements un cercueil, étant entendu que, pour respecter le contrat de concession, la seconde place devait être réservée à Mme C, co-titulaire.
Sur ces fondements, il avait donc été demandé au président du TA de P, statuant sur la requête présentée par les deux enfants légitimes de feu M. B, de se prononcer, répondre et statuer sur les questions suivantes, et ce, dans toute la mesure du possible :
- Interpréter l’acte administratif, constitué par le contrat administratif conclu entre la commune de P le 2 avril 1998 et M. B et Mme C aux termes duquel leur avait été délivrée, dans le cimetière de l’Est, dit "cimetière du Père-Lachaise", une concession perpétuelle de 2 mètres superficiels de terrain, en apportant réponse aux quatre questions suivantes :
1°/ Dans quelle catégorie pouvait-on classer cette concession ?
2°/ Quels étaient les droits détenus par les deux enfants légitimes, héritiers réservataires de M. B ?
3°/ Et, déduisant de la réponse à la deuxième question :
- Après le décès de Mme C co-concessionnaire, quelle devait être la dévolution successorale de ladite concession, sachant que cette personne n’avait pas d’enfants ?
4°/ Le maire de la commune de P pouvait-il, eu égard à la situation familiale des deux bénéficiaires de la concession, étrangers en droit, délivrer ce type de concession qui était de nature à attenter aux droits de l’une ou l’autre des parties et à leur descendance, donc susceptible de porter atteinte à l’ordre public, puisqu’un conflit massif avait opposé les deux filles de M. B à Mme C, portant, notamment, sur le contenu des inscriptions à faire figurer sur le monument funéraire, ayant débouché sur une condamnation pénale des requérantes. À cet égard, il sera exposé qu’il résulte de l’arrêt du Conseil d’État n° 297914 en date du 25 juin 2005, que, dans ses considérants, la Haute Assemblée avait pu estimer que :
Se référant aux termes de l’art. L. 2223-13 du CGCT, le Conseil d’État avait pu statuer en ces termes : "Considérant qu’un maire, qui est chargé de la bonne gestion du cimetière, peut, lorsqu’il se prononce sur une demande de concession, prendre en considération un ensemble de critères, parmi lesquels figurent notamment les emplacements disponibles, la superficie de la concession sollicitée au regard de celle du cimetière, les liens du demandeur avec la commune ou encore son absence actuelle de descendance", cette énumération ne semblant pas limitative.
Sur ces fondements, les autorités communales auraient-elles pu ou auraient-elles dû refuser l’octroi de ladite concession, car elle portait en son sein les prémices de conséquences dommageables pour la descendance de M. B, alors qu’en vertu des dispositions de l’art. L. 2223-13 du CGCT, elle tirait de la loi et du contrat de concession (de par la mention "sépulture de famille") des droits qui, en définitive, lui ont été refusés, ou, plus simplement, dont l’usage avait été manifestement entravé ?
Que, pour illustrer ces difficultés, il y avait lieu de faire état du document dressé par la mairie de P, en date du 24 janvier 2017, intitulé "Annulation, renonciation de droits à concession", concluant :"En conséquence, cette concession demeure en indivision perpétuelle entre Mme C (co-fondatrice), et Mme N B, Mme D B (héritières réservataires, enfants de M. B), avec les autres ayants droit qui viendraient à justifier de cette qualité."

Il était, également, exprimé dans la requête, la question suivante :
"Que se passerait-il dans l’hypothèse où l’une des deux filles de feu M. B viendrait à décéder avant Mme C (ces trois personnes ont à peu près le même âge), et que la famille ou la personne habilitée à pourvoir aux funérailles sollicitait l’autorisation d’inhumer son corps dans la concession dont il s’agit ? Compte tenu de la capacité d’accueil du caveau (rappel, 2 places), Mme C, co-concessionnaire, serait privée de son droit réel de nature immobilière, supérieur à celui des héritières (cf. Jean-Pierre Tricon et Renaud Tricon, dans "Le Traité de législation et réglementation funéraires", éditeur, SCIM Résonance).Une raison de plus qui aurait motivé, eu égard aux conséquences successorales, un refus d’attribution, par la ville de P et ses services compétents, de la concession au bénéfice de deux personnes, juridiquement étrangères au plan familial.La décision du TA de P était, donc, particulièrement attendue par les requérantes, en outre, elle présentait un grand intérêt pour tous les juristes, car, à ce jour, ainsi qu’énoncé clairement dans le texte de la requête en interprétation de l’acte de concession, la jurisprudence, tant administrative que civile, n’avait eu à connaître que des litiges opposant, soit le concessionnaire (une seule personne physique) à l’Administration, ou le concessionnaire à ses enfants ou successeurs, ou enfin les héritiers entre eux.

4 - La décision du TA de P (jugement en date du 11 octobre 2018, n° 1709062/4-1)

Ce jugement est à proprement parler désolant, car, après une longue phase d’instruction (la requête fut enregistrée au greffe du TA de P le 29 mai 2017), durant laquelle le TA de P a sollicité les parties en présence, afin qu’elles fassent valoir leurs points de vue (la ville de P, la défense de Mme C et, bien évidemment, les requérantes), le TA a rejeté la requête en interprétation de l’acte individuel de la concession perpétuelle, aux motifs que :"Si les litiges relatifs aux concessions de terrains dans les cimetières qui comportent occupation du domaine public relèvent bien du juge administratif, le litige soulevé par la requête présentée par Mmes B, tendant à déterminer les droits que celles-ci détiennent sur la concession litigieuse, relève de la compétence du juge judiciaire. En l’absence de renvoi par l’autorité judiciaire d’une question préjudicielle relative à l’interprétation des stipulations du contrat de concession litigieux, Mmes B ne sont pas recevables à demander directement à la juridiction administrative de procéder à cette interprétation."En d’autres termes, cette décision, par voie de conséquence, a maintenu le flou qui règne autour de la validité d’un tel acte, et ce type de concession n’a pu recevoir la qualification juridique espérée.Mais, pour autant, ce débat n’est pas encore clos, car l’une des héritières réservataires a interjeté appel devant la Cour d’Appel (CA) de P, chambre correctionnelle, d’un jugement du TGI de P (chambre correctionnelle), l’ayant condamnée à un peine d’amende (qui fut réglée par cette héritière), l’appel étant limité aux condamnations civiles, en raison de la commission d’un délit de profanation de la sépulture de son père, pour avoir apposé sur la stèle des messages attestant son affection et la peine causée par sa disparition.Une nouvelle question préjudicielle a été soulevée devant la CA avec demande de sursis à statuer, et ce, avant toute défense au fond, en tenant compte du cas particulier des juridictions pénales.- Le particularisme des juridictions pénales en matière d’interprétation et d’appréciation de la légalité en matière d’acte administratif individuel :
Contrairement aux juridictions civiles, pour lesquelles une question préjudicielle tenant à l’interprétation d’un acte administratif individuel relève au plan de la compétence du juge administratif, il est, par contre, constant qu’aux termes de l’art. 111-5 du Code de procédure pénale : "Les juridictions pénales sont compétentes pour interpréter les actes administratifs, réglementaires ou individuels et pour en apprécier la légalité lorsque, de cet examen, dépend la solution du procès pénal qui leur est soumis."

C’est pourquoi Mme N. B s’en est remise à cette CA, afin qu’il soit répondu, avant dire droit, par une interprétation du contrat de concession, aux questions qu’elle était en droit de se poser, légitimement, sur les effets juridiques de l’acte administratif individuel, attribuant cette concession perpétuelle à feu son père, M. B, conjointement avec sa maîtresse, Mme C, selon acte en date du 2 avril 1998, d’autant plus qu’à la date de l’attribution de la concession, sa mère, Mme R. T, épouse légitime de feu M. B, n’était pas décédée. Mais aussi et surtout jamais divorcée, et de dire quels sont les droits qu’elle, et par extension, sa sœur, Mme D. B, détiennent sur cette concession funéraire perpétuelle, réputée, selon les stipulations de l’acte, "familiale", alors que feu M. B, et sa maîtresse, Mme C, ne pouvaient, légitimement, constituer une famille au sens du Code civil.

Cette procédure d’appel est actuellement en cours d’instruction par le conseiller de la mise en état près la CA de P, et il va de soi que, lorsqu’il aura été statué sur cette question préjudicielle, les lecteurs de Résonance seront informés de la teneur de la décision.

Jean-Pierre Tricon
Consultant de Cabinets d’Avocats
Formateur
Co-auteur du Traité de Législation et Réglementation Funéraires

Résonance n°146 - Janvier 2019

Instances fédérales nationales et internationales :

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